LA
LAÏCITÉ S'EST ARRÊTÉE À MALTE
Juste
une remarque à propos du titre (en italien : La
laicità si è fermata a Malta)
et
à ce qu'il renvoie. On remarquera d'abord qu'il s'agit d'un titre
que l'on pourrait qualifier de lévien, c'est-à-dire venu de Levi.
En l'occurrence, il renvoie au livre de Carlo Levi, intitulé
« Cristò si è fermato a Eboli » - « Le Christ
s'est arrêté à Eboli ». Un titre qui m'avait toujours paru
mystérieux et dont je n'ai réellement percé le sens que du jour où
j'ai pris la peine de lire Carlo Levi. Grosso modo, à l'époque à
laquelle se réfère Levi, c'est-à-dire vers 1935-36, quand on le
conduisait entre deux carabiniers à son lieu d'exil intérieur
(confinement) au cœur de la Lucanie à Aliano, le chemin de fer qui
continuait vers le Sud s'arrêtait à Eboli. Au-delà d'Eboli, pour
atteindre la Lucanie (devenue Basilicate), il fallait trouver
d'autres moyens. Le Turinois du Sud découvrait que fondamentalement
la « civilisation chrétienne » (le Catholand) s'arrêtait
aussi à Eboli. Les paysans de Lucanie disaient : « Noi,
non siamo cristiani, siamo somari » - « Nous, nous ne
sommes pas des chrétiens, nous sommes des bêtes de somme ».
Ainsi
dans le titre choisi par Raffaele Carcano, le sens s'inverse :
la « civilisation chrétienne » est repliée derrière
Malte, au-delà de Malte... il ne reste que l'Italie... La Catholie.
[Lucien l'âne]
En
2010, justement en ces jours d'avril, Benoît XVI effectua un voyage
apostolique à Malte. Il cueillit l'occasion pour vanter ouvertement
la législation de l'île : « D'autres nations peuvent
apprendre de votre exemple chrétien ». Malte était l'unique
État de l'Union Européenne à ne pas reconnaître le divorce, et le
pape allemand poussa les institutions locales « à continuer à
défendre l'indissolubilité du mariage cette institution naturelle
et sacramentelle, comme vraie nature de la famille ».
Quatre
ans ont passé depuis lors. À beaucoup de Maltais, ils sembleront
même des siècles. En mai 2011, un référendum consultatif vit la
majorité de la population favorable à la légalisation du divorce.
Deux mois après le divorce devenait loi. L'autre jour s'est réalisé
un autre pas en avant : la reconnaissance juridique des unions
civiles, qu'elles soient homo ou hétérosexuelles. Il leur a même
été garanti l'accès à l'adoption. A voté en faveur le parti
travailliste, tandis que le parti nationaliste s'est abstenu tout en
soutenant la mesure sur les unions civiles, cela malgré son
opposition aux adoptions par les homos et les lesbiennes. On n'a pas
enregistré de vote contraire.
Certes,
il y a encore beaucoup à faire à Malte ; par exemple,
l'avortement est encore interdit. Et le parcours législatif n'a pas
été simple. Le président sortant avait refusé de signer la mesure
sur les unions civiles, qui sera maintenant ratifiée par la nouvelle
(ah oui : depuis le 4 avril, Malte a même une présidente femme).
L'Église catholique a mené une opposition très dure à la mesure :
Mons. Charles J. Scicluna, membre de la Congrégation pour la
doctrine de la foi et longtemps collaborateur de Joseph Ratzinger,
avait déclaré le projet de loi : « un acte gravement
immoral ». Le Pape Francesco s'était même dit « choqué ».
C'est
vrai : une accélération laïque aussi rapide dans un des bastions
du catholicisme des plus conservateur peut sembler choquante.
Pourtant, il devrait être encore plus choquant de constater combien
est arriéré notre pays, maintenant entouré de nations qui
démontrent un considérable dynamisme laïque. Nous sommes gouvernés
par Renzi qui n'a pas ouvert la bouche pour commenter la sentence de
la Consulta sur la légalité de la fécondation hétérologue. La
laïcité ne fait pas partie de son vocabulaire et, du reste, il y a
neuf ans, il y était ouvertement opposé. On en vient à penser que
ce qu'il soutenait il y a quatre ans à propos de Malte, Ratzinger
aujourd'hui le dirait à propos de l'Italie. Même s'il est
difficile, aujourd'hui, de trouver encore un pays qui voudrait
« apprendre » de notre exemple clérical.
Raffaele
Carcano
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