vendredi 29 janvier 2016

Trois cents ans de torture


Trois cents ans de torture

Chanson française – Trois cents ans de torture – Marco Valdo M.I. – 2016

Ulenspiegel le Gueux – 24

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXXIX)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.



Charles Quint
Quelques années après sa mort.




Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et quatrième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-trois premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée (Ulenspiegel – I, LI)
13Indulgence (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable  (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier (Ulenspiegel – I, LXXIV)
20. Le Talisman rouge et noir (Ulenspiegel – I, LXXV)
21. La Vente à l’encan (Ulenspiegel – I, LXXVI)
22. Telle est la Question (Ulenspiegel – I, LXXVIII)
23. Charles et Claes (Ulenspiegel – I, LXXIX)

La précédente chanson relatait le rêve de Katheline dans lequel Claes, père de Till et Charles Quint, père de Philippe étaient morts et s’étaient, en conséquence, présentés devant le juge suprême. La canzone s’était achevée par l’entrée de Claes chez les bienheureux et la remise de Charles au maître des enfers pour suite utile. 

De cela je me souviens fort bien, dit Lucien Lane en opinant du chef. Mais ce qu’il en adviendrait ensuite pour Charles, on attend toujours de le savoir.

C’est précisément le thème de la chanson au titre si évocateur : « Trois cents ans de torture », voilà ce qu’il advînt de Charles Quint.

Il l'avait bien mérité, je pense. Toutefois, trois cents ans de torture, c’est bien beau, mais lesquelles ?, dit Lucien l’âne en tremblant de tous ses membres.


Je ne les détaillerai pas, car c’est précisément l’objet de la chanson. Je t’en donnerai simplement le principe général  énoncé par le juge : « Qu’il y subisse tout ce qu’il fit subir sur Terre. »

Voilà ce que j’appelle un jugement juste, dit Lucien l’âne.

Et miséricordieux, ajoute Marco Valdo M.I.

Miséricordieux ?, dit Lucien l’âne un peu interloqué de tant de mansuétude.

Oui, miséricordieux, car après ces trois cents ans, il pourra enfin connaître le repos des morts. C’est comme tu l’as si bien compris, un juste retour des choses. Il faut cependant bien dire que ce n’est qu’un rêve de bonne femme, car les tyrans paient rarement et même, à la réflexion, ne paient jamais leurs dettes de sang et de douleur. Et ils le savent pertinemment, même s’ils vivent en permanence dans la méfiance, la suspicion et la peur, entourés de gardes du corps, dont ils ne savent pas s’ils ne vont pas se retourner contre eux, ni à quel moment.

Moi, dit Lucien l’âne en haussant les épaules, le sort des tyrans m’est indifférent. L’essentiel, la seule chose qui compte, à mes yeux d’âne, c’est qu’ils disparaissent une mauvaise fois pour toutes. Mais qu’on me comprenne bien : ce n’est pas que j’aie la moindre compassion à leur égard, c’est que je pense qu’il n’y a aucune manière de leur faire rendre mesure pour mesure comme il semble que cela se fasse dans le rêve de Katheline. Cependant, il n’empêche qu’il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde tyrannique, despotique, complaisant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


À son ami le Christ, Lucifer demande alors :
Que faire de ce vieux tyran mort ?
En la salle aux tortures, mets donc ce vers ;
Qu’il y subisse tout ce qu’il fit subir sur Terre :

Le supplice de l’eau qui gonfle les estomacs,
Celui des chandelles qui brûle les pieds et les aisselles,
L’estrapade qui disloque les épaules,
La roue qui brise les jambes et les bras.

L’arsure du bûcher, tous les supplices en somme
Afin que chaque fois où une femme ou un homme
Les souffrira en son corps, en perdra la tête,
Chaque fois, en lui, la douleur se répète.

Il apprendra par l’eau, par le feu, par le fer
Le mal qu’un homme injuste peut faire
Quand il gouverne et commande.
Il ne serait pas mal aussi qu’on le pende,

Qu’il subisse mille caprices de bourreau,
Qu’il pourrisse en prison,
Qu’il gémisse hors de raison,
Qu’il meure un peu sur l’échafaud,

Qu’il soit honni, vilipendé, fouetté,
Que la délation l’accuse, qu’il soit dénoncé,
Que la confiscation le ruine,
Que le remords enfin le mine.

Fais-en un âne à maltraiter, mal nourrir,
Un miséreux qu’on affame, qu’on désespère,
Un ouvrier condamné au travail forcé,
Un être qu’on moque et qui doit fuir,

Un chien qu’on abreuve de coups et de pierres,
Un esclave aux Indes qu’on vend aux enchères,
Un paysan qu’on fait mercenaire,
Qui meurt sans savoir pourquoi à la guerre ;

Et ce pendant trois cents ans.
Il paiera ainsi les souffrances qu’il fit, les misères
Et puis, s’il est bon homme alors,
Donne-lui un coin ombreux pour le repos de son corps.

Ah ! Si j’avais un verre de vin d’Andalousie !
Viens Charles, dit le diable, le temps est fini
Du vin, des viandes et des volailles,
Grignote ton anchois avant que je te tenaille.



mercredi 27 janvier 2016

Charles et Claes

Charles et Claes


Chanson française – Charles et Claes – Marco Valdo M.I. – 2016

Ulenspiegel le Gueux – 23

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXXIX)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.



Entends le clairon de l’ange !






Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et troisième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-deux premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée (Ulenspiegel – I, LI)
13Indulgence (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable  (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier  (Ulenspiegel – I, LXXIV)
20. Le Talisman rouge et noir (Ulenspiegel – I, LXXV)
21. La Vente à l'encan (Ulenspiegel – I, LXXVI)
22. Telle est la Question (Ulenspiegel – I, LXXVIII)


Il te souviendra Lucien l’âne mon ami que la dernière fois, nous avions laissé Till et sa mère Soetkin en bien piteux état, mais libérés et libres après une séance de question assez éprouvante. Dans notre opéra-récit comme dans les romans et les films, à la différence du réel, on peut sauter du coq à l’âne (http://www.expressio.fr/expressions/passer-sauter-du-coq-a-l-ane.php) sans inconvénient…

Sauter du coq à l’âne, quelle drôle d’expression, que veux-tu dire par ces mots venus de je ne sais trop où ?, dit Lucien l’âne en clignant de l’œil droit, de sorte que selon la parole évangélique, son œil gauche pouvait ignorer ce que faisait son œil droit.

En effet, en effet, sauter du coq à l’âne, passer du coq à l’âne est une expression étrange, mais qui à ma connaissance tout au moins ici – ne relève pas – rassure-toi – de la zoophilie. Elle veut tout simplement dire que l’on change de sujet de conversation sans transition, sans même prévenir son interlocuteur. Lors donc, on saute de a très shakespearienne « Telle est la Question » à la chanson qui nous occupe, intitulée « Charles et Claes » ; c’est-à-dire Charles Quint et Claes le charbonnier, qui sont – respectivement – les pères de nos protagonistes antagonistes : celui de Philippe et celui de Till. Dès lors, c’est une chanson qui fait le pendant à celle qui mettait en place cette histoire de Till le Gueux – la deuxième, intitulée elle aussi de deux prénoms : « Till et Philippe ». je ne saurais trop insister sur la dimension polysémique de ces chansons et e particulier, sur la dimension hautement symbolique des personnages.

À propos, justement, des personnages, il me semble que – pour ce qui est de ceux qui ont réellement existé, tes histoires en prennent à l’aide avec l’Histoire.

Oui et non, et je t’assure que ce n’est pas là réponse de Normand. D’abord, je suis le récit de Charles De Coster. Cependant, dans l’ensemble, les faits historiques et les éléments biographiques sont exacts. Mais, et tu vas le voir dans cette chanson, il y a une dimension fantasmagorique, complètement imaginaire et surréelle qui est en étroite connivence avec l’atmosphère religieuse dans laquelle baignait la société à l’époque. Relent d’encens et de gaz ecclésiastiques. Elle y baigne encore toujours un peu différemment, même si on peut constater qu’elle s’en dégage progressivement.

On y travaille, dit Lucien l’âne en souriant. C’est une part de ce que j’appelle « tisser le linceul ou le suaire ou le sudario de ce vieux monde », chose que l’on rappelle fréquemment, tant il est nécessaire de le faire obstinément et en sens contraire des bonnes gens et du « politiquement correct », qui vise à empêcher toute contestation et de ce « vivre ensemble » où il convient d’accepter leurs vessies de porc pour des lanternes magiques, qui sert à noyer le poisson et à camoufler la Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants font aux pauvres pour maintenir leur domination, accroître leurs richesses et ancrer l’exploitation au cœur de la société.

On ne saurait être plus clairet tu mets le doigt dans l’œil qu’il faut, car « l’œil était dans la tombe... »

Qu’il y reste, dit Lucien l’âne en riant.

Pour en revenir à la chanson, il faut préciser qu’elle est un rêve éveillé de Katheline, dont on sait déjà qu’elle un peu voyante. C’est une pure invention de Charles De Coster qui précisément comme fonction de permettre des sauts dans le temps, dans l’espace et dans l’imaginaire, procédé qu’il avait déjà utilisé pour décrire l’abdication de Charles Quint.

Dans l’imaginaire, mais que peut-on y trouver dans l’imaginaire ?, dit Lucien l’âne d’un ton incrédule.

Le Paradis [[48810]], pardi ! Donc, Charles et Claes sont appelés par le « clairon de l’ange » à se présenter au jugement du seigneur, en l’occurrence le Christ. Et c’est l’interrogatoire devant le juge suprême, qui se conclut par le paradis pour Claes et la venue de Lucifer pour conduire Charles aux enfers. Voilà qui finit abruptement pour le malheureux Charles Quint. C’est évidemment une conclusion quelque peu optative, mais elle rejoint bien le « sens commun » ; l’empereur, tueur invétéré, ne saurait bénéficier dans l’au-delà d’un destin favorisé. Ceci va tout à fait dans le sens de l’image naïve telle qu’elle était diffusée dans les populations et qui était ressentie par Katheline. Elle est fort consolante, mais peu réaliste… Elle ne correspond évidemment pas à l’opinion, ni aux attentes de la cour impériale ou royale.

Cette étape tourne la page des pères, elle est centrale. Je me demande tout de même ce qui attend Charles aux enfers.

C’est le sujet de la prochaine chanson et comme tu le verras, il va devoir payer cher son arrogance et sa cruauté. Pourtant, je t’invite quand même à considérer que nous sommes dans le rêve.

Ah bien ! Alors, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde pieux, pillard, impitoyable et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


En l’an cinquante-huit du siècle,
Charles mourut en Estramadoure
Et Katheline vit de ses yeux de folle
L’empereur et le charbonnier, tour à tour.

Claes interpelle sa voisine :
Que fais-tu ici femme Katheline ?
Et toi, père de Till, te voir est étrange.
Je vais au jugement. Entends le clairon de l’ange !

Je voulais le toucher, ma main le traversait ;
Son corps était comme une buée.
D’Espagne, une autre ombre montait
Vieille, laide, décrépite, essoufflée

Le menton en pantoufle, visage de pierre,
Couronne impériale, manteau de roi,
D’une main, l’ombre tient un anchois ;
De l’autre, un hanap empli de bière.

Elle voudrait boire sa bière, finir son anchois,
Mais une fois encore, le clairon sonna.
Claes et Charles étaient au pied du trône,
Prêts au jugement et sans couronne.

Charles, dit la voix, qu’as-tu pour ta défense ?
Je me suis confessé de mes offenses,
Oint par vos prêtres, sacré roi et empereur
Pour garder votre pouvoir, j’ai semé la terreur.

Tu semas la terreur chez les gens sans défense.
Tu fis décapiter, brûler, pendre pour t’enrichir.
De ton avidité, cent mille personnes périrent.
Despote, tu n’aimais que toi, bière, vins et magnificence.

Claes, le bon homme, fut aimable et tendre ;
Travaillant et riant, il hérita d’argent.
C’était corde pour le pendre.
On le dit réformé et on le brûla incontinent.

Ainsi parla l’ange au juge suprême.
Qui dit : va, Claes, au paradis, Marie t’emmène.
Les anges te laveront et tu seras beau et jeune.
L’éternité pour toi et ceux qui t’aiment.

Le clairon sonna encore à nouveau
Du fond de l’abîme, nu et fier, arrive Lucifer.
Que faut-il faire de ce vieil hobereau ?
Emporte-le dans tes enfers.