jeudi 21 mai 2015

RENAÎTRE ATHÉE

RENAÎTRE ATHÉE


Version française de Born again atheists , un article de Raffaele Carcano, secrétaire général de l'UAAR.


L'article de Raffaele Carcano indique à terme la poursuite de la croissance du nombre de mécréants dans le monde.
Par ailleurs, cette tendance est semblable aux États-Unis où – déjà à présent – le nombre de mécréants est passé en quelques années de 36 à 55 millions entre 2007 et 2014. La progression est surtout marquée chez les générations les plus récentes – celles nées après 1980. Grosso modo, les mécréants sont passés en un demi-siècle de 11 à 36 % de la population – tous groupes confondus (blancs, noirs, latinos...).



Le Pew Research Center a fait une étude afin de prévoir le futur des religions dans le monde. L'avenir sera rose pour l'islamisme, disent les chercheurs : en 35 ans, il passera de 23% à 30% de la population de la planète ; et en 2070, il dépassera le christianisme. L'horizon de ce dernier est donné pour stable, comme pour l'hindouisme. Mauvaises nouvelles par contre pour « sans religion », qui descendraient de 16% à 13%. Il n'y a cependant pas de quoi désespérer. Au contraire.
Selon cette étude, la croissance du nombre des musulmans ne serait pas due aux conversions. Du reste, disons le : l'islamisme, maintenant, n'est pas une foi qui possède un grand pouvoir d'attraction. Les autres religions ne vont pas très bien aussi. Les conversions, d'après l'étude, sont un phénomène statistiquement insignifiant. Le phénomène est bien connu : on fait presque toujours partie d'une certaine religion car on naît dans une famille qui fait partie de cette religion, en y restant car elle est conformiste, traditionnelle et trouve avantage à y rester. Et même celui qui ne croit pas aux relatives doctrines tend à participer aux rites, aux événements, aux pèlerinages tant que la mort ne le sépare pas de son appartenance. La religion est un réseau social autoreproductif.
La forte croissance potentielle de l'islamisme serait due exclusivement à un motif : les taux de natalité plus élevés de ses fidèles. La population humaine est encore en forte croissance (de 7 à 9 milliards), mais cette croissance se concentrera en deux lieux : l'Afrique et le Moyen Orient. Avec l'exception des émirats, il s'agit de régions pauvres, que les gens fuient. Soit à cause des guerres en cours, soit en raison de l'absence d'opportunités offertes in loco, une situation amplifiée précisément par le natalisme. Deux phénomènes, les guerres et le natalisme, dans lesquels la religion est lourdement impliquée. Mais peu nombreux sont ceux qui ont envie de l'écrire.

Projected Cumulative Change Due to Religious Switching, 2010-2050
En Afrique et au Moyen Orient, pour l'instant, le nombre d'athées et d'agnostiques est très bas, le plus bas du monde. Comme cela ne suffisait pas, les athées et les agnostiques ont — partout — peu d'enfants. Il est facile de comprendre que les prévisions sur leur nombre soient médiocres, bien que leur nombre actuel soit comparable, aujourd'hui déjà, à celui des catholiques. Autre fait que – comme c'est étrange – on passe sous silence presque partout. Spécialement en Italie.
Pourtant, la même étude montre quel est l'antidote à une baisse prévisible. Récemment, nous est arrivée la nouvelle qu'en Norvège, le nombre des athées a rejoint celui des croyants. Et même au Royaume-Uni, les sans religion sont maintenant 42%. Comment cela est-il possible, si même dans ces pays, ils ont moins d'enfants que les croyants ? C'est simple : toujours plus d'enfants des croyants abandonnent la foi. Si les conversions ne sont pas un phénomène considérable, les apostasies le sont et comment ! Selon le Pew Center, 88% des transferts religieux prévus se feront en direction de la mécréance.
Un tsunami de conversions à la mécréance. Le groupe qui a le moins de chances de croissance est même l'unique à être crédité d'énormes potentialités d'augmenter sa propre dimension ; de plus, en conséquence de choix authentiques. Pour que cela se réalise, il suffit d'étendre la diffusion des prérequis (instruction, liberté d'expression, bien-être et sécurité existentielle) qui portent à abandonner la foi. Ce sont aussi des phénomènes qui, en même temps, réduisent aussi le natalisme.
Il y a devant nous une véritable armée de déserteurs de la religion. Contrairement aux conversions religieuses, on n'en parle pas dans les mass-media. C'est juste ainsi, de quelque façon : c'est l'événement improbable, l'homme qui mord le chien pour éveiller de l'attention. Les journalistes savent bien comment sont les choses. Mais, s'ils le savent, qu'ils le fassent savoir ouvertement. C'est leur tâche, non ?


Raffaele Carcano

(24 avril 2015)

LA LIBERTÉ DE CRITIQUER LA RELIGION

LA LIBERTÉ DE CRITIQUER LA

 RELIGION



Nous reprenons ici (traduit de l'italien UAAR - La libertà di criticare la religione) l'éditorial de Raffaele Carcano, secrétaire del' Uaar - Unione degli Atei e degli Agnostici Razionalisti.

Saluons d'abord le courage de Raffaele Carcano, qui assume cette position de secrétaire d'une association athée au cœur-même du Catholand. C'est une tâche qui n'est ni facile, ni sans danger.
D'autant plus, on le verra ci-dessous, qu'il ne ménage pas les affidés de quelque religion que ce soit. Qu'il prenne garde cependant : certains sont morts pour moins que ça – assassinés par les déments atteints de croyance débile.
Sur le fond de la question qu'il pose : la liberté de critiquer la religion, Lucien Lane, dit l'Asino resuscitato, librement athée conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l'Âne, entend apporter son grain de sel. La critique de la religion, des religions, des religieux, des dieux, et tout ce saint frusquin, est non seulement un droit fondamental de tout être vivant, mais c'est aussi un devoir de tout être vivant libre ou en lutte pour sa libération ou pour la libération d'autrui. Ainsi soit-il !
Maintenant, en ce qui concerne les religions des « pauvres » – étrange argument évoqué par d'aucuns, il faut bien voir ce qu'il en est, car il y a là une pirouette idéologique qui tend à travestir le réel. En réalité donc, ces religions (presque toutes les religions, hormis la Valdese) sont des systèmes symboliques que les riches et les puissants imposent aux pauvres ou aux moins forts à seule fin de fonder leur ordre ou l'ordre qu'ils soutiennent, d'assurer leur pouvoir ou le pouvoir qu'ils soutiennent, de justifier l'exploitation… Ce sont des tours de passe-passe idéologiques qui servent à mystifier les gens afin de pouvoir les manipuler à l'envi. Par ailleurs, la multiplicité des religions est fille de l'affrontement entre diverses factions de candidats à la domination. L'actuel avatar musulman illustre parfaitement cette compétition interreligieuse.
Il ne s'agit pas d'être contre une religion, il s'agit simplement d'être contre toutes les religions ; ce qui n'empêche nullement de les examiner et de les critiquer séparément. En clair, on peut donc critiquer le prophète de l'une sans nécessairement être un fan de l'autre.

Alors, face aux religions : Ora e sempre : Resistenza ! Maintenant et toujours : Résistance !

Lucien Lane, l'Asino resuscitato.


Le massacre de Paris a amorcé un débat mondial sur la liberté d'expression. Sur la nécessité de la protéger, mais aussi sur ses limites. Il y a ceux qui voient dans les dessinateurs de Charlie Hebdo des exemples à suivre et ceux qui, dans le sillage du Pape, les tiennent pour des extrémistes qui l'ont bien cherché en exagérant l'attaque à l'encontre des sentiments d'autres extrémistes.t

C'est un débat fondamental que celui en cours. Car il y a en jeu précisément un droit humain fondamental, la base-même de notre civilisation. On comprend très bien, mais elle fait mal quand même, la décision de Luz de ne plus représenter Mahomet. Mais ce qui crée beaucoup plus de malaise, c'est le livre Qui est Charlie ? de l'historien français Emmanuel Todd, dans lequel il soutient que la grande manifestation du 11 janvier a été une espèce d'imposture, une sorte de déclaration de guerre anti-islamique à laquelle en effet n'ont pas participé ni les fidèles musulmans, ni les résidants des banlieues ; Manuel Valls a dû intervenir en personne pour lui répondre.

Quelque chose de semblable est arrivé aussi aux Usa, où le prestigieux Pen Club a décidé d'attribuer son prix annuel pour le courage démontré envers la liberté d'expression justement à Charlie Hebdo, déchaînant ainsi les protestations de divers écrivains qui en font partie, car des dessinateurs « portés à la création de caricatures grossières et à la mise en boîte de la religion » ne devraient en aucune manière être récompensés. Gary Trudeau, le très connu dessinateur de Doonesbury, a à son tour attaqué le journal, car il aurait pris comme cible une « religion de pauvres ». On critique l'islamophobie et on fait comprendre que, dessous, il y aurait du racisme.
Le débat n'est pas nouveau : pensez à la très lourde confrontation, c'était il y a déjà deux ans, entre le journaliste Glenn Greenwald (celui du cas Snowden) et le nouvel athée Sam Harris.

Mais ça va en crescendo. Il y a une confrontation à l'intérieur du monde « libéral » et de gauche déjà soulignée par Michel Houellebecq dans Soumission, là où il parle de l'opposition entre « laïques » et « antiracistes ». Entre ceux qui pensent que la laïcité est une valeur universelle à défendre à tout prix et ceux qui croient qu'au contraire, il est nécessaire de défendre avant tout les sentiments religieux de masses déshéritées. Entre ceux qui, comme le survivant au massacre Gérard Biard, qui soutiennent que « choquer fait partie du débat démocratique, être tué non », et ceux qui, au nom du « politically correct », pensent qu'on doit poser des limites à la liberté d'expression.

Entretemps, cependant, dans un pays arabe certes pas déshérité comme l'Arabie saoudite, le libre penseur Raif Badawi reste en prison, condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet, il y juste un an d'ici.

Tandis que dans un pays certes pas riche comme le Bangladesh, dans lequel la laïcité est toutefois une valeur constitutionnelle – un pays où l'écrivaine Taslima Nasreen, prix Sakharov pour la liberté de pensée, a été contrainte à l'exil depuis 1994 (et a même une fatwa sur sa tête) - est en cours une véritable ratonnade d'athées. Ils en ont tués trois en seulement trois mois : après Avijit Roy et Wasjiqur Rahman, est frappé Ananta Bijoy Das, massacré en rue à coups de machette pendant qu'il se rendait à son travail à la banque.

Rien d'étrange. Il y a deux ans , dans la capitale Dakka, se déroula une gigantesque manifestation de masse des islamistes : qui donc ne sont pas du tout, comme souvent on entend dire, une « petite minorité non significative ». Les participants demandèrent que les bloggers athées soient condamnés à mort.

Cela n'est pas arrivé, et ils (les islamistes) se sont fait justice tout seuls. L'absence de limites à « leur » liberté d'expression s'est dramatiquement traduite dans la conviction de n'avoir aucune limite. Dans les derniers jours, Ananta Bijoy Das avait été invité en Suède par la section locale du Pen Club pour parler de persécutions contre les athées, mais le visa lui a été refusé.

« Il y avait le risque qu'il ne serait pas rentré dans sa patrie », dit maintenant l'ambassade. Maintenant le risque, en admettant qu'il y en eût, il n'y en a plus.
Ce sont des bureaucrates des visas qui ne savent pas distinguer un authentique persécuté d'une jihadiste. Des politiciens à la Ed Miliband qui veulent criminaliser la critique au mahométisme. Et tant d'intellectuels sensibles à n'importe quel sentiment des « masses déshéritées ». Je me trompe peut-être, mais je ne les ai pas vus dire le moindre mot pour ceux qui, seuls contre presque tous, cherchent à allumer la lampe de la raison dans des sociétés peureusement archaïques. Que pourrisse dans silence ce qui reste des corps d'Avijit, de Wasjiqur et d'Ananta. Et de ceux qui bientôt les suivront.


Raffaele Carcano, secrétaire Uaar - Union des Athées et des Agnostiques Razionalisti
(15 mai 2015)