lundi 11 janvier 2016

La Vente à l'encan

La Vente à l'encan


Chanson française – La Vente à l'encan – Marco Valdo M.I. – 2016

Ulenspiegel le Gueux – 21

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXXVI)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.



Et tout ce qui est ainsi saisi est mis en vente immédiatement devant la maison de Claes






Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et unième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les vingt premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière [[50627]] (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe [[50640]](Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique [[50656]](Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame [[50666]](Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! [[50687]](Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till [[50704]](Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
11. Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants ! [[50880]](Ulenspiegel – I, LII)
13Indulgence [[51015]] (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable [[51076]] (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? [[51124]] (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection [[51150]] (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme [[51196]] (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation [[51215]] (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier [[51256]] (Ulenspiegel – I, LXXIV)
20. Le Talisman rouge et noir [[51272]] (Ulenspiegel – I, LXXV)


Après la mort de Claes, le charbonnier sur le bûcher, il s'agit d'accorder au délateur le prix de sa dénonciation, lequel est constitué par la moitié des biens du défunt ; l'autre moitié revient au souverain, qui a inventé cette belle disposition. C'est une règle odieuse, certes, mais du point de vue des « autorités », il s'agit de l'appliquer ; ce que ne peuvent manquer de faire les officiers publics et les juges. Même si en leur for intérieur, ils n'en pensent pas moins.

Personnellement, dit Lucien l'âne en se cabrant, je ne ferais jamais une chose pareille. Je refuserais d'appliquer une telle loi…

C'est bien pour cela que tu n'es pas et ne pourrais pas être un officier public ou un juge. Et, si par extraordinaire, tu l'eus été et que tu n'eus pas appliqué cette loi ou n'importe quel autre règlement, tu aurais été limogé, démissionné ou plus gravement sanctionné encore. On ne badine pas avec ça en haut lieu. Cependant, pour en revenir à notre histoire, elle se résume à ceci : le poissonnier a dénoncé le charbonnier pour hériter de la moitié de ses biens. De tous ses biens. Le désormais héritier, pour pouvoir s'assurer de son héritage, fait saisir par voie de justice tout : berceau, lit, meubles, vivres « jusques au dernier clou ». Remarque bien ce dernier clou, car il ne s'agit pas d'une expression, mais d'une réalité, on saisit bien jusques au dernier clou, car, à cette époque lointaine, comme le fer est cher, les clous ont de la valeur et on les arrache tous des murs de l'habitation. Et tout ce qui est ainsi saisi est mis en vente immédiatement devant la maison de Claes. C'est une vente au plus offrant, une vente à l'encan, une vente aux enchères à la chandelle, dont la durée est fixée par le temps que met la chandelle à se consumer. Celui qui a offert le plus au moment où la chandelle s'éteint emporte le lot. Une particularité de cette vente, dans notre histoire, c'est que le poissonnier est gagnant à tous les coups, puisqu'il bénéficie de la moitié du prix. Ainsi, personne ne peut le concurrencer et lui-même a intérêt à faire monter les prix, vu qu'il ne paiera jamais que la moitié du prix qu'il annonce et que l'éventuel enchérisseur devra régler le prix plein. Sauf qu'en ce cas précis, personne d'autre que lui ne veut acheter les biens du condamné défunt. C'est ainsi que le poissonnier finit par acheter – pas cher – tous les biens de Claes.

L'attitude de ce poissonnier est assez déroutante pour la morale universelle, la morale commune, la « common decency », la pure et simple décence, celle qui veut qu'il y a des choses qu'on ne fait pas, dit Lucien l'âne d'un ton amer.

Tu as raison et d'ailleurs, il va s'en rendre compte. Mais ce n'est pas tout, il va faire pis encore, car il n'a pas obtenu ce qu'il cherchait… Ce qu'il visait en dénonçant le charbonnier, c'était les 700 carolus d'or (une véritable fortune) que Claes avait reçus de son frère Josse, via le messager. Comme Till les a cachés hors de la maison paternelle, on ne les y trouve pas. Enragé par cette disparition, le poissonnier va dénoncer une deuxième fois ; il va accuser la veuve et l'orphelin – Till et sa mère Soetkin, qui vont être menés en prison afin d'être torturés pour qu'ils révèlent où se trouve cette fortune. Durant le trajet, qu'ils parcourent ligotés et escortés par les sergents de la ville, au moment où ils passent devant la demeure du poissonnier, les accusés en criant lancent la malédiction contre leur dénonciateur et lui prédisent la « male mort ». C'est ainsi que le gens du village apprennent cette deuxième forfaiture et se rebiffent. De colère et de honte, ils mettent le poissonnier en quarantaine comme on fait d'une bête malfaisante ; ils font le siège de sa maison, lui jettent des pierres. Ainsi commence la vengeance de Claes. La peur qui saisit le poissonnier est elle qu'il n'ose plus sortir de chez lui.

Oh, dit Lucien l'âne, quelle histoire terrifiante que celle-là ! Une vague de honte devrait emporter cet homme-là. C'est une vraie scène de guerre. Si on y songe, des histoires de dénonciateurs, on en a connu lors de toutes les guerres…

À qui le dis-tu, Lucien l'âne mon ami. Je sais que tu le sais, mais quand même je le rappelle, j'en garde toujours mémoire : mon propre père a été ainsi dénoncé, torturé et est mort du chef d'un traître de ce genre.

Dans toutes les guerres, et toutes les occupations, dans les guerres de religion ou dans les guerres dites civiles, on trouve des actes de traîtrise, de dénonciation ou délation comme celui-là.Je n'ose imaginer la suite, mais je la sens très angoissante. Reprenons pourtant notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde honteux, obscène, avide, traître et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Claes mort, pour la vente de justice
On met les meubles sur la rue
Le berceau où le père et le fils sont nés
Le lit où la mère a accouché.

La huche où se serre le pain,
Le bahut, les poêles, les faitouts,
La tonne à bière et les flacons de vin,
Tout jusques au dernier clou.

Le crieur allume la chandelle,
On vend à l'encan même la vaisselle.
Seul le poissonnier achète et comptant,
Il sourit de toutes ses dents.

Le dénonciateur, dit la veuve de Claes.
Je sais, dit le fils de Claes,
Il n'héritera pas du sang du père,
Se jurent le fils et la mère.

Et le poissonnier accuse à nouveau
Pour trouver l'héritage tant convoité.
Il veut ses carolus, l'insensé ;
L'argent lui brûle le cerveau.

Il dénonce la veuve et l'orphelin
Par écrit entre les mains du bailli
Et les juges entendant les témoins
Poursuivent des gens déjà meurtris.

Le fils et la mère en allant au bourreau
Maudissent publiquement le vilain barbeau ;
Ils lui prédisent la male mort
Et tout le bourg comprend. Alors,

De toutes les maisons, de toutes les rues,
Chez le délateur, les gens se ruent
Le huent, lui jettent des pierres
Et l'infâme cagot affolé se terre.




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