EN
ITALIE
L'INQUISITION
À L'ÉCOLE ET LE CRUCIFIX DANS LES CLASSES
Version
française des Dernières Nouvelles de l'UAAR – Union des Athées,
Agnostiques et Rationalistes. (10 août 2013) :
Texte
italien :
http://www.uaar.it/news/2013/08/10/manca-crocifisso-agli-esami-linquisizione-arriva-scuola/
Précepte
laïque
Italiens,
encore un effort pour devenir laïques !
« Vivent les vacances ! Plus de pénitences !
Les cahiers au feu et le maître au milieu ! »
C'était un air de délivrance, salutaire et joyeux. Elle nous revient à l'esprit en quelque sorte par contraste avec l'air étouffant qui règne dans l'enseignement en Italie, où elle pourrait prendre la forme suivante :
« À bas la tolérance ! Pas de liberté de conscience !
L'inquisition à l'école et le crucifix dans les classes ! »
C'est
là, en somme, le thème central de l'article ci-après.
Décidément,
le monument au premier aviateur crée bien des perturbations dans le
monde. Pour mémoire, je rappelle qu'Alfred jarry, relatant la
Passion comme course de côte, concluait : « Jésus
était à ce moment deadheat avec les deux larrons. On sait aussi
qu’il continua la course en aviateur... mais ceci sort de notre
sujet. » (voir
http://fr.wikisource.org/wiki/La_Passion_consid%C3%A9r%C3%A9e_comme_course_de_c%C3%B4te
et même entendre :
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4426229).
Ainsi, si l'on en croit Jarry, le crucifix est bien le monument au
premier aviateur. On se demande évidemment pourquoi un tel symbole
est imposé dans les écoles et les bâtiments publics.
Ces
considérations historiques mises à part, on découvre ici une
Italie quasiment moyen-âgeuse, toute entière encore aux mains des
bigots et des dévots, peuplée de délateurs de la plus belle eau,
espèce régénérée par le fascisme et les accords du Latran. On y
dénonce, on y menace, on y abuse de l'autorité, on magouille, on
bafouille... Un univers peu ragoûtant dans une Europe qui ne veut
pas le voir, ne veut pas le savoir pour ne pas avoir à dénoncer
ceux qui laissent se perpétrer ces indignités, qui les
entretiennent et les couvrent.
ALBI,
Action Laïque Belgo-italienne, n'a pas vocation à taire les
iniquités et se doit de faire savoir cet État de choses , cette
envahissante dictature larvée qui anesthésie l'Italie et qui tend à
s'étendre à l'Europe...
.
La
vaillante défense du crucifix imposé dans les écoles et dans les
bureaux publics revêt souvent des aspects grotesques, surtout
lorsque les intégristes et les cléricaux s'activent avec zèle pour
en prétendre le maintien, en déplaçant mers et montagnes et en
déplorant Dieu seul sait (autrement dit , personne ne sait...) quels
dommages. Avec une hargne et un fanatisme préoccupants, faits pour
intimider tout qui se limite à demander le respect d'un minimum
syndical de laïcité. Comme s'il s'agissait d'un délit de
lèse-majesté. Ou mieux, de « lèse-cléricalité ».
Comme il ressort de cette histoire tragi-comique d'Italiette (une
sorte d'Italie réduite au Catholand), qui nous a été racontée par
un de nos sympathisants, un professeur appelé comme commissaire
extérieur pour les examens d'État qui se sont déroulés récemment
dans un institut de Caserte, et que nous rapportons ci-après.
La rédaction
Durant
la réunion préliminaire, dans la salle de la commission, aucun
crucifix n'était accroché au mur, il y avait seulement un clou.
Dans le cours de la matinée, un appariteur en a apporté un (avec
d'autres objets : un ventilateur, une petite armoire, et cetera) pour
l'accrocher au clou, mais moi et la collègue interne professeur C
l'avons invité à n'en rien faire, et nous avons mis le crucifix
dans un tiroir. La collègue C, qui connaît les élèves, m'a
expliqué qu'il y a deux musulmans et un témoin de Jéhovah, et en
outre qu'il ne lui semble pas opportun d'exposer un crucifix dans une
école publique et laïque. Sans ajouter de commentaires, je me suis
montré pleinement d'accord ; quelques autres collègues de la
commission étaient présents, qui n'ont pas dit un mot, et il m'a
semblé qu'ils ne s'intéressaient pas à l'épisode.
« C'EST
MIEUX PAS : LAISSONS-LE OÙ IL EST », ET ON LE LAISSA DANS
LE TIROIR.
Le
jour de la première épreuve (celle d'italien), les candidats et la
commission se trouvaient dans une autre salle, plus grande ; là
aussi le crucifix n'était pas pendu au mur, mais dans le tiroir,
depuis l'instant où nous sommes entrés dans la salle. Le collègue
interne, le professeur M, était occupé de ramasser les cellulaires
des candidats dans une boîte en carton ; en allant remettre la boîte
dans le tiroir, il trouve le crucifix, le ramasse en disant les mots
« mais regarde où ils l'ont fait finir… » et il fait
le geste de le rependre ; je lui dis «Vaut mieux pas : laissons-le
où il est », et il le laissa dans le tiroir.
Le
professeur M, cependant, est resté fort troublé car il s'aperçut
que dans l'autre salle aussi, le crucifix a été laissé dans le
tiroir ; il appelle à part le président de la commission, le
professeur N, et parle avec lui longuement. J'ignore ce qui a été
dit, mais j'ai eu l'impression qu'il tenait le manque d'affichage
pour une chose très grave (se référant au symbole en l'appelant
« notre seigneur »). Le président N est embarrassé, il
ne veut absolument pas de problèmes, il voudrait seulement que
l'examen se passe sans difficultés ; ainsi je vais dans la salle de
la commission où j'invite M, C et N à dialoguer pour trouver la
solution la meilleure. Mais M refuse tout dialogue, est très enragé
et menace de s'adresser (dans l'ordre) : au principal, à
l'inspecteur, à l'avocat, aux carabiniers. Il refuse donc de parler
et va appeler le directeur-adjoint professeur R.
Le
directeur-adjoint R apparaît et commence en disant que « lorsque
nous allons dans leurs pays, nous ne font pas construire les
églises » ; ceci suffit pour deviner la suite… La
collègue C et moi, nous rétorquons qu'il se réfère peut-être à
des régimes théocratiques, tandis que l'Italie est un État laïque.
« Le dialogue » cependant, comme on peut facilement
l'imaginer, est devenu âpre. Le directeur-adjoint R remet de force
le crucifix au mur, chose qui irrite fort la collègue C. Ensuite il
nous invite, avec un ton menaçant, dans son bureau pour parler. Dans
le bureau du directeur-adjoint C et moi répétons (ou tentons de
réaffirmer) que la présence de la croix ne nous avait pas semblé
opportune, que l'école est publique et laïque et que la décision
de « ne pas afficher » (qui est différente
« d'enlever ») avait été prise de commun accord et
n'avait pas été contestée. Les arguments de R étaient d'une autre
teneur : « Ils viennent dans notre pays et ils doivent accepter
nos règles et nos symboles » ; « lorsque je suis allé
en Turquie leur porter de l'argent et la civilisation, ils ne me
laissaient même montrer la croix que je porte au cou » ;
«quand ils ont inscrit leurs enfants dans cette école, les parents
sont venus me lécher les pieds et me remercier, donc maintenant le
crucifix est très bien là , et personne ne s'est jamais plaint »
; « dans cette école, nous sommes tous chrétiens ». Il
affirme même être un « athée de merde » ; il
prononce cependant la phrase à voix si forte que, si quelqu'un
l'avait entendue hors de la pièce, il aurait pu penser à une
insulte à mon endroit. Et de toute façon, ajoute-t-il, le crucifix
est même le « symbole de la supériorité de notre culture ».
Comme ces argumentations nous semblaient obscènes et inacceptables,
le directeur-adjoint R, très enragé, a menacé de faire intervenir
une inspectrice de sa connaissance. La collègue C a menacé
d'appeler son avocat. Je me suis mis à rire. Ce jour-là, de toute
façon, dans la salle dans laquelle se déroulait l'épreuve écrite,
personne n'a osé remettre à sa place le crucifix. Ainsi, la journée
s'est conclue avec une croix dans le tiroir.
Les
deux jours suivants, par contre, nous trouvons toutes les croix
accrochées à tous les murs. Le président N et autres collègues,
parmi lesquels quelques absents le premier jour, me prennent à part
et expliquent que l'obtusité des professeurs M et R est bien connue
et que serait mieux de ma part d'éviter de fomenter des batailles,
de faire bon visage et de passer outre avec sérénité pour le bien
de l'examen d'État. En somme, ils me disent de ne pas gêner, faut
avancer dans le travail et qu'il n'y a pas temps pour ces bêtises
idéologiques. Aussi contrarié, j'accepte et je prends l'engagement
de ne pas ouvrir la bouche sur la question et de ne plus faire de
problèmes. Les croix seraient restées à mure et silencieux tous.
Je maintiens l'engagement, je fais des réflexions d'un autre genre
et plaisante amicalement avec tous, comme si rien ne s'était passé.
Arrivés
à la fin de semaine, par contre, le président N me téléphone chez
moi et me dit que, depuis quelques jours déjà, une inspection est
en cours. L'inspectrice apparemment aurait été appelée, même si
personne n'en avait été informé (N, comme président de
commission, est fort vexé de ne pas avoir été averti !) et elle a
déjà conféré secrètement et séparément avec quelques membres
de la commission. Demain (samedi), elle veut aussi m'entendre,
toujours tout seul et en privé. L'inspectrice écoute ma version des
faits, mais elle se concentre sur un unique aspect de l'événement :
« Est-ce vous qui avez enlevé le crucifix ? » est la
question qu'elle répète plusieurs fois au cours de l'entretien. Je
réponds que non ; l'inspectrice recommence à me le demander
comme si elle voulait une réponse différente, un aveu. Mais on ne
peut pas forcer un homme libre à confesser ce qu'il n'a pas fait, au
moins tant que l'emploi de la torture n'est plus légal, je continue
donc à répondre non.
L'inspectrice
me demande de mettre par écrit une déclaration dans laquelle
j'affirme avoir déconseillé à la collègue, face aux garçons, de
rependre le crucifix. Je le fais (et peut-être ai-je commis une
erreur, j'aurais dû m'y refuser ou demander l'avis d'un avocat ou
d'un syndicaliste). Ensuite, elle appelle « à témoigner »
le directeur-adjoint R et un appariteur ; devant eux, elle me
demande « Vous êtes d'où ? », je réponds « de
Caserte »… « Mais où êtes-vous né ? » et je
réponds : « à Caserte ! Je suis italien » (là, je
comprends que peut-être ils pensaient que j'étais étranger) ;
ensuite encore, ils me demandent « de quelle religion, je
suis » et je me refuse à répondre en disant que, vu les
questions, j'ai des raisons de craindre une discrimination sur base
de l'orientation religieuse.
Le
jour de la troisième épreuve écrite dans les salles, nous
découvrons une nouveauté : sous le crucifix, un feuillet avec une
prière d'humilité, attaché au mur; dans toutes les classes. Ce
n'est pas tout ; avant le début de l'épreuve, sous le porche
de l'école, le professeur M a fait signer à certains des candidats,
une déclaration écrite dans laquelle ils déclarent être troublés
par l'absence du crucifix. La professeure C s'aperçoit de ce fait et
elle en est tellement indignée qu'elle écrit immédiatement une
lettre au principal et au président N, et ensuite prétend le faire
enregistrer par le secrétariat de l'école (elle y réussit, mais
pas sans de considérables difficultés).
Ceci
provoque une nouvelle intervention de l'inspectrice, qui à nouveau,
nous convoque par petits groupes pour parler séparément ; je n'ai
pas pu assister à l'entretien le plus long, avec la professeure C ;
je sais seulement que la collègue C est sortie de la salle en
larmes, bouleversée et a demandé à être accompagnée à
l'hôpital. L'inspectrice demande encore de nous entendre à la
présidence. Elle commence en s'adressant à moi avec ces mots
« Laissez-moi vous parler comme de mère à fils… »
(elle est plus âgée et moi jeune). Je rétorque : « Non. Vous
me parlez d'inspectrice à commissaire et vous m'expliquez si vous
êtes ici de manière informelle ou si quelqu'un vous a appelée et
quelles sont les raisons de votre inspection ». Rien à faire,
elle continue en me demandant d'une manière insistante, si c'était
moi qui avait ôté le crucifix. Évidemment, je continue à répondre
non… et alors elle éclate avec « Suffit avec les mensonges,
j'ai tous les enregistrements et les dépositions ! » Je lui
réponds « Comment vous permettez-vous de me dire menteur ?
Faites-moi voir les déclarations de celui qui dit le contraire ;
le menteur, c'est lui et je le dénonce », mais elle refuse de
me le dire.
Je
lui demande si ç'avait été son initiative de faire signer des
déclarations écrites aux élèves ; elle refuse de me
répondre. Je le lui ai demandé plusieurs fois au cours de la
matinée, elle s'est toujours refusé à répondre. À un certain
moment, elle s’offusque car je lui posais des questions, elle
soutient qu'à poser les questions, ce devait être seulement elle.
Elle me dit que j'aurais ensuite à lire le rapport qu'elle aurait
présenté aux supérieurs. Ensuite, elle m'interpelle en disant que
« Comme vous le savez très bien la réglementation dit
que… » ; je lui demande à quelle réglementation elle
se réfère, de me citer la loi (très simplement, je voulais qu'elle
me dise que « la loi » est une circulaire fasciste de
1926), mais ici encore, elle ne refuse pas seulement de me répondre
mais, en stigmatisant mon attitude, elle interrompt l'entretien.
L'inspectrice
réunit ensuite toute la commission devant elle (à exception de
notre collègue C qui entretemps était toujours à l'hôpital), et
fait un long sermon sur l'opportunité réduite de faire des
batailles idéologiques en séance d'examen. Dans le silence de tous
les commissaires, je suis l'unique qui a le courage d'essayer de
répondre, toujours interrompu ; elle manifeste sa stupeur car
je ne baisse pas pavillon face à l'autorité, comme prévu…
Face
à son attitude tous mes collègues, mais vraiment tous (sauf le prof
M) se rangent de mon côté, en montrant une légère hostilité
vis-à-vis de l'inspectrice. Vu que « inter nos », nous
étions déjà convenus de l'opportunité de calmer les esprits et de
passer au-delà, son intervention n'a fait qu'aggraver les choses. En
somme, j'ai obtenu la solidarité de tous les collègues, surtout du
président N. L'examen est ensuite passé aux épreuves orales sans
autres problèmes. L'examen terminé, j'ai demandé à la
surintendance de Caserte à voir les rapports de l'inspectrice et du
président N (vu que beaucoup de mes questions étaient restées sans
réponse, et qu'il m'avait été dit que je devais attendre les
rapports pour avoir ces réponses). Le fonctionnaire de la
surintendance avec lequel j'ai parlé m'a dit que ces documents ne
sont pas en leur possession et que je dois m'adresser à un bureau de
Naples (chose que je ferai après les congés estivaux, je pense).
Selon
moi, ce qui rend unique cette affaire est qu'il s' agit d'un cas
singulier de « non-affichage » plutôt que de
« déplacement » (d'un crucifix) ; ce n'est pas par
hasard que je me suis opposé durement au ton inquisitorial avec
lequel on me demandait de confesser avoir ôté le crucifix, en
assumant seulement la responsabilité d'avoir omis son affichage, et
d'avoir déconseillé (seulement verbalement) à d'autres de le
faire. Je connais bien les événements (et les échecs) des Tosti,
Coppoli et Lautsi... J'ai seulement demandé de ne pas accrocher un
symbole confessionnel.
Une chose que j'ai apprise de cet événement est que le symbole de la croix, valeur religieuse à part, est parfois un prétexte pour permettre à des fascistes frustrés et xénophobes de mettre mal à l'aise les élèves étrangers, mécréants ou d'une autre religion. Mais c'est seulement une impression personnelle. Si au début, la croix en salle était seulement une question de principe, maintenant elle est pour moi une question de conscience professionnelle. Maintenant encore plus qu'au début, je sens que ce symbole est inopportun ; pas seulement parce qu'il privilégie une religion, mais parce qu'on veut en faire le symbole de la « culture italienne », unique, imposée à tout qui a une « culture différente » comme symbole de supériorité. Ce qui, surtout à école, n'est pas beau.
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