samedi 26 décembre 2015

La vilénie de Voltaire

20 août 2008

La vilénie de Voltaire

« Est-il en notre temps rien de plus odieux, de plus désespérant que de ne pas croire en Dieu… »

Quoi, qu’est-ce que tu chantes ?, dit Marco Valdo M.I. à Lucien l’âne qui en a tant vu et tant entendu…


Mais, c’est une chanson…, dit Lucien l’âne à la voix de Caruso.


De Brassens, je sais, je connais ce mécréant qui échappera de peu au supplice d’Abélard… Heureusement, il y a encore de bonnes femmes. Et toi, Lucien, qui connut les mystères d’Éleusis et autres sympathiques délires mystiques, vas-tu te mettre à genoux, prier et implorer, faire semblant de croire… Ou vas-tu passer ton chemin sans trop te soucier de ces calembredaines ?

Tu sais bien, mon ami Marco Valdo M.I., que je n’ai pas vocation à me laisser sombrer dans le mystère, ni d’avaler les hosties et cela, justement parce que j’ai connu bien des mystères et que je sais qu’enfin, la nonne aima le brigand et moi, Photis.


Dis, Lucien, peux-tu m’expliquer quel genre de plante poussait sur le bord du chemin ? Je t’avais pourtant recommandé de ne pas manger de coquelicots, l’autre jour. Comme tu sais, il y a herbe et herbe.

À propos d’herbe, et de mauvaise herbe, comme avec mon ami de l’époque, que j’emmenais partout avec Marguerite sa donzelle, je ne suivais pas les chemins qui mènent à Rome, il ne t’étonnera pas que j’ai eu quelques ennuis dans le passé, et comme on était aux temps des fanatiques d’Augustin, j’ai tout juste eu le temps de passer les Alpes après avoir dû mener mes amis au bûcher, précisément. J’en tiens pour preuve le récit de Schwob : « Pour Dolcino et Margherita, on les attacha sur un âne, le visage tourné vers la croupe ; on les mena jusqu’à la grande place de Novara. Ils y furent brûlés sur le même bûcher, par ordre de justice.»

Hou lala, ouhlala, dit Marco Valdo M.I., je ne savais pas que tu connaissais l’ami Dolcino et l’aimable Marguerite on en parle encore maintenant de ces deux-là et même, je te le raconterai prochainement, on détruit encore les monuments que leurs amis érigent pour eux. Tout ça, d’ailleurs, colle bien avec l’histoire de l’Achtung Banditen ! d’aujourd’hui.

Ah oui, dit Lucien l’âne aux pieds d’Hermès et aux pas de danses de Dionysos, et quel est ce mystérieux Bandit… ? Qui est ce terroriste ? Quelle terreur a-t-il bien pu inspirer et dans quel maquis a-t-il mené son combat ? Car je suppose bien qu’il s’agit d’un de ces ennemis de la société, un de ces gens qui veulent changer le monde pour le rendre plus juste, plus libre, plus honnête, plus humain… Quel est donc cet émule du Che ?

Oups, Lucien, dit Marco Valdo M.I., tu y vas fort et de travers. D’abord, en matière d’émules, excuse-moi, malgré ton caractère d’âne, ce serait plutôt l’inverse ce serait bien le Che qui serait son émule. Il y a plus de deux cents ans d’écart entre eux. Notre nouvel invité vivait vers 1700. Ensuite, pour le maquis, tu n’as pas tort. Il vivait dans un maquis, qui l’est toujours presque autant aujourd’hui : ce sont les Ardennes, pays de sangliers, de têtes dures, de chasseurs et de taiseux. Pays de Rimbaud aussi.

Ha, ha, fit Lucien l’âne en reculant de deux ou trois pas pour montrer qu’il écoutait avec plus de recul les indications de Marco Valdo M.I..


Quant au terroriste…, dit Marco Valdo M.I. Oui, il a terrorisé l’Europe et d’un certain point de vue, il la terrorise encore, si terroriser consiste bien en ce que tu as dit : c’est-à-dire vouloir un monde plus juste, la mise en commun des biens, la répartition du travail, le souci de la collectivité, une certaine rigueur morale…

Le chœur de l’infâme

Le mieux de l’affaire, c’est qu’il fut prêtre sa vie durant et même curé de deux paroisses, distantes de quelques milliers de mètres l’une de l’autre. Il fut un de ces prêtres – et crois-moi, il y en a eu beaucoup dans l’histoire – qui ne croyait pas du tout aux énormités religieuses que leur état leur imposait de débiter en chaire de « vérité ». Il y croyait tellement peu qu’il s’est excusé dans sa lettre testamentaire à ses paroissiens de leur avoir menti pendant quarante ans et surtout, de ne pas avoir eu l’audace de leur dire la vérité … Enfin il faut savoir qu’il s’est rattrapé depuis. C’est ce curé qui a lancé la belle imprécation qui résonne encore de tout son sens : «Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »
Et crois-moi, il avait le même souhait à l’égard des riches et des puissants.

OH, OH, dit Lucien l’âne, en se grattant le menton et l’oreille du pied. Voilà qui est étonnant… Enfin, je veux dire que c’est étonnant de trouver quelqu’un qui parle comme Dolcino et d'autres que j’ai connus dans le monde. Tu n’as pas tort, Marco Valdo M.I., beaucoup de curés croient autant en Dieu que moi en mes chaussettes. Mais au fait, comment s’appelle-t-il ce curé et comment sait-on ce qu’il a raconté ?

Mon bon Lucien, je ne vais pas me lancer dans une conférence érudite sur le sujet, car il y aurait dix mille détails à aborder. Je vais faire simple : il s’appelait Jean Meslier et il dit tout cela dans son « testament » qu’il déposa chez un notaire… Mais, il y a quand même une partie de cette affaire sur laquelle je voudrais insister un peu, c’est l’intervention du Sieur Jean-Marie Arouet, alias Voltaire, qui a voulu étouffer la voix de Jean Meslier en réécrivant quelque peu ses pensées et en faisant un fameux caviardage. Jean Meslier a comme caractéristique principale sur le plan de la croyance, c’est qu’il n’en avait pas et que pour tout dire, en plus de vouloir éventrer des curés, il était athée – il l’est d’ailleurs resté. Mais d’un athéisme militant, et même, pourrait-on dire d’un antithéisme militant. On pourrait sur ce plan le comparer à Max Stirner ou à ton interlocuteur présent. En clair, non seulement Dieu n’existe pas, mais il ne faut pas voir dans son abstraction pure une raison pour le laisser vivre, même erronément en somme, si la religion est l’opium du peuple, Dieu en est le grand Pavot il faut l’éradiquer pour que l’homme – toi, moi… puisse vivre. Donc, ce petit salaud de Voltaire – je ne vois pas d’autre mot, avait entendu parlé du Testament de Meslier et il s’est empressé de s’en procurer une copie. Ensuite, sous prétexte d’en faire un résumé, il l’a purement et simplement dénaturé. Il a fait de Jean Meslier, un de ces déistes, à la manière de ceux avec lesquels Voltaire entretenait des relations amicales très suivies.

Mais c’est dégueulasse, dit l’âne en lançant une ruade symbolique.

Mais, rassure-toi Lucien, tu penses bien que Jean Meslier n’est pas du genre à se laisser étouffer, même par un Voltaire, lui qui, étant de surcroît curé – une circonstance aggravante -  avait osé affronter l’infâme à mains nues.

Excuse-moi, dit Lucien l’âne en élevant sa queue en point d’interrogation, mais qui est cette infâme dont tu parles ?

C’est celle que Savonarole, Luther, les Anglicans eux-mêmes traitent sans hésiter de Putain : notre Sainte Mère l’Église Catholique, Apostolique et Romaine. Voltaire lui l’appelait « l’infâme ». Enfin, tout ça pour te présenter la chanson que je voulais te faire connaître ce soir et son commentaire. C’est une chanson d’un auteur italien que j’ai traduite. Cet auteur l’a écrite il y a plus de trente ans il se nomme Anton Virgilio Savona et la chanson s’intitule tout simplement « Le testament du curé Meslier ». En maintenant, allons-y !






Jean Meslier (Mazeny, Champagne 1664 – Étrépigny, Champagne 30 juin 1729), curé d’Étrépigny, en Champagne (commune proche de Charleville-Mézières, où naquit et grandit plus tard un autre imprécateur de haut vol, le dénommé Arthur Rimbaud - actuellement département des Ardennes – 08 – Région Champagne-Ardennes) eut cette idée de publier – en les déposant sous forme de testament – ses pensées et ses colères à titre posthume. Est-ce parce qu’il y travailla jusqu’au bout de sa vie ou en application d’un principe de précaution ? Toujours est-il que ce texte et sa lettre aux paroissiens qui le présente ont surgi à son décès, puis ont disparu et par la suite, ont connu des fortunes diverses avant de pouvoir venir au jour en édition intégrale plus de deux cents ans après ce dépôt, qui pourtant les a sauvés. Dans cette aventure du « Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier », le caviardage de Voltaire fut assurément une vilénie (Meslier à la sauce déiste de Voltaire est à la correction littéraire et intellectuelle, ce que le fast-food est à la cuisine – une trahison et pire, une erreur !), mais l’arrangement voltairien eût quand même le mérite (involontaire) d’attirer l’attention sur les 3 exemplaires que Jean Meslier avait déposés au greffe. Grâce soit rendue, dès lors, au hollandais Rudolf Charles, éditeur de son état, qui tenta la première intégrale à la fin du 19ᵉ siècle !

Quant à savoir pourquoi Jean Meslier n’a pas publié de son vivant, j’ai ma petite idée à ce sujet. Tout simplement, il faut quand même connaître un peu les Ardennes pour comprendre que un : trouver un éditeur était en soi une odyssée, deux : qu’écrire le « Mémoire » (outre que de tenir sa charge de curé…), était aussi un formidable défi et trois : qu’enfin, en rédiger les copies prenait du temps et était essentiel pour en assurer la postérité… Le reste est sans doute dû à la volonté d’aller le plus loin possible dans la rédaction… Jean Meslier ne s’en cache pas lui qui commença son texte par : « Mes chers amis, puisqu’il ne m’aurait pas été permis… » et dit – en substance ensuite – « Je vous l’aurais bien dit de vive voix, juste avant de mourir, mais je ne suis pas sûr…. (ceci traduit en langage moderne) que j’aurai encore toute ma tête à ce moment… Donc j’ai pris la précaution d’écrire ». En ce temps-là, la mémoire des bûchers de l’Inquisition illuminait encore l’Europe.

Par ailleurs, on n’a pas fini de disserter sur Jean Meslier. Je n’en dirai pas plus ici, sauf à reprendre ce que les paysans de Lucanie disaient au temps de Carlo Levi (1936) : « Noi, non siamo cristiani, siamo somari » (« Nous nous ne sommes pas des chrétiens, nous sommes des bêtes de somme »), sauf à reprendre la phrase de Jean Meslier qui excommunie quiconque la prononce ou la reproduit :

«Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »

Puis-je ajouter, dit Marco Valdo M.I., que c’est aussi le mien de souhait – et pas le dernier.
Et, comme disait cet autre mécréant anarchiste de Brassens : « Et tant mieux si c’est un péché, nous irons en enfer ensemble… Il suffit de passer le pont »


 Le testament du curé Meslier.
Chanson italienne – Il testamento del parocco Meslier - Anton Virgilio Savona - 1972
Version française – Le testament du curé Meslier – Marco Valdo M.I. - 2008



Vous avez sur le râble le fardeau pesant
Des princes, des prêtres, des tyrans
et des gouvernements ;
des nobles, des moines, des chanoinesses et des prélats,
des fripons de garde-sel et de tabac
et des magistrats.
Vous avez sur le râble les puissants et les guerriers,
les ineptes, les inutiles et les rusés,
et les douaniers,
les riches qui volent pour s’engraisser
laissant le peuple entier
entretemps – crever.
Abattez
les riches condottières
et les princes !
Ce sont eux,
pas ceux de l’enfer,
les diables !
Des vermines qui laissent au paysan
seulement la paille du grain
et la lie du vin.
Ils théorisent paix, bonté et fraternité
et puis, ils légalisent les trônes
et l’inégalité.
Ils ont inventé le Dieu des puissants
pour endormir et faire plier
les corps et les esprits.
Ils ont inventé les démons et les enfers
pour faire trembler et taire
les pauvres et les sans-terre.
  
Abattez
les riches condottières
et les princes !
Ce sont eux,
pas ceux de l’enfer,
les diables !
Ce ne sont pas les démons de la cour inférieure
vos pires ennemis,
après la mort mais ce sont ces gens qui lèvent les doigts,
anéantissent et font pourrir
votre vie !
Et si vous vous unissiez, vous pourriez les arrêter
en utilisant du boyau de prêtre
pour les pendre ;
Ainsi, vous ne seriez plus leurs esclaves
mais enfin, du fruit de votre travail, les maîtres !
  
Abattez
les riches condottières
et les princes !
Ce sont eux,
pas ceux de l’enfer,
les diables !



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