Procès et condamnation
Chanson française – Procès et condamnation – Marco Valdo M.I. – 2015
Ulenspiegel le Gueux – 18
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXIX)
Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.
Autan et sécheresse dépérissent les arbres
Quand on étouffe la libre conscience.
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Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la dix-huitième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les dix-sept premières étaient, je te le rappelle :
01 Katheline la bonne sorcière (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée (Ulenspiegel – I, LI)
12. La messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse (Ulenspiegel – I, LIII)
13. Indulgence (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme (Ulenspiegel – I, LXIX)
Sans doute, Lucien l’âne mon ami, as-tu encore dans les oreilles le lancinant appel de Katheline : « Le feu ! Le feu ! Creusez-un trou, l’âme veut sortir ! » et sans doute aussi, avais-tu pressenti que c’était là une sorte de prémonition, un cri de Cassandre. En effet, dans Till le Gueux, un peu comme dans “La Jeune Fille et la Mort” de Franz Schubert s’entrecroisent les thèmes et la mort fait entendre sa voix au travers des incantations de Katheline. Et sans doute encore, te souviens-tu de l’arrestation de Claes par le prévôt et les quatre sergents.
Sûrement que je m’en souviens, Marco Valdo M.I., mon ami, et même, j’ai comme l’idée que ce qui arrive à Claes est à interpréter d’un point de vue symbolique. Je veux dire que j’ai la conviction que Claes est une figure qui incarne tous ceux qui sont – au cours de l’Histoire – dénoncés comme hérétiques par un pouvoir ou une religion.
Peut-être bien, dit Marco Valdo M.I. Cependant, pour les pouvoirs d’État (sauf s’ils sont théocratiques ou religieux), il n’y a pas d’hérésie, car ils ne se fondent pas sur une croyance à un ou plusieurs dieux, même s’ils peuvent l’être sur une eschatologie, sur l’espérance ou l’annonciation de mondes meilleurs. Dans ce dernier cas, il peut y avoir des sortes d’hérésies et d’hérétiques. Le vocabulaire qu’on leur applique est cependant différent, on parle alors d’opposants, de déviationnistes, de dissidents, etc. Mais globalement, la démarche est la même : ils ne suivent pas dans le droit chemin. Pour les puissants, ils sont simplement de la mauvaise herbe.
De la mauvaise herbe qu’il faut extirper, j’imagine, dit Lucien l’âne d’un ton sévère. Ce serait une mauvaise idée, car nous les ânes, on aime la mauvaise herbe…
Bien sûr, c’est le destin de la mauvaise herbe vu par le jardinier entiché de pelouse et de gazon ras. Cette chanson « Procès et Condamnation » raconte ce qu’il advient de Claes qu’on avait mis en prison. Son interrogatoire est très émouvant et montre comment un homme libre peut jusqu’au bout garder sa dignité. Claes ne plie à aucun moment sur l’essentiel. Il résiste, résiste, résiste.
On dirait bien, Marco Valdo M.I. mon ami, que cet hérétique applique jusqu’au bout la devise que nous avons adoptée : « Ora e sempre : Resistenza !».
Ensuite, il y a le visage du traître, du dénonciateur qui – en dépit de l’anonymat de sa honteuse action – est révélé à tout le monde. Ici, une petite parenthèse s’impose. Le roi Philippe avait – à la suite de son père – mis en place un système de délation efficace et particulièrement profitable. Il accordait au dénonciateur en « héritage » une part des biens du condamné : voilà pour l’efficace ; et il s’en gardait la plus grande partie, voilà pour le profitable. Pour le zélateur, les conséquences viendront plus tard, car les gens – même dans ce terrible régime – n’aimaient pas les délateurs. Et à propos de régime, celui-là comme tous les autres régimes, a comme principal ennemi la liberté de pensée ou de conscience – ce qui foi de Valdo, est la même chose. Pour le pouvoir, il s’agit de l’empêcher d’exister, car elle finit toujours par troubler l’ordre public. Mais, Lucien l’âne mon ami, ne te laisse pas prendre à cet astucieux tour de passe-passe, qui consiste à confondre ordre public et paix. À car égard, Claes pose la bonne question : « Quand pourra-t-on vivre en paix ? ».
Je vais te rassurer, Marco Valdo M.I. mon ami, sur l’état de ma pensée en ce qui concerne cette utopie qu’est la « paix » tant que durera la Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants font aux pauvres pour assurer leur main-mise sur le monde, renforcer leur domination sur les gens, accroître leurs richesses, étendre leurs privilèges, développer l’exploitation des hommes et de la nature… je me pose la même question que cet accusé d’antan. C’était il y a cinq siècles et nous nous posons encore et toujours, la même question, bien que l’on connaisse la solution : la disparition de la richesse et de l’avidité qui en découle.
On voit donc bien comment atteindre la « paix » ; reste à savoir quand on y arrivera. En la matière, il existe deux solutions : une solution apocalyptique et une solution ordinaire. Je penche nettement pour l’ordinaire qui découle d’une évolution.
Mais laissons cela… sinon nous y serons encore demain et tissons le linceul de ce vieux monde pieux, vieux, inquisitorial, mortel et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
On sut bientôt dans tous les alentours
Qu’un homme était prisonnier et serait jugé
L’Inquisiteur Sans Pitié le fera brûler
Comme il le fait toujours.
Sous le tilleul, le tribunal se réunit.
Le populaire en grande multitude dit :
Les juges ici ne diront pas justice,
Ils condamneront, c’est leur saint office.
Le dénonciateur, anonyme comme il se doit
Entre d’autres hérésies, avait ouï, caché en retrait :
« La Prostituée romaine un jour tombera. »
Et Claes qui disait : « Quand pourra-t-on vivre en paix ? »
Qui est ce dénonciateur, ce traître vil et bas,
Avide, avare, âpre au gain comme le roi ?
C’est toi le poissonnier au vilain museau de rat
Pour l’héritage, tu as fait cette laide chose-là.
Le juge demande : « Dis-moi, si tu crois
Que le Pape représente Dieu ici-bas. »
« Non, dit l’accusé, je ne le pourrais pas. »
Jusqu’au bout, Claes ne se rendit pas.
« Où est Till, mon fils en errance ?
Seras-tu brave, ma douce commère ? »
Autan et sécheresse dépérissent les arbres
Quand on étouffe la libre conscience.
Et les gens criaient : « Pitié, miséricorde ! »
Et le juge en place du feu offrait la corde.
Et les gens dirent encore : « Feu ou corde, c’est la mort ! »
L’Inquisiteur clamait : « Ce n’est rien de brûler les corps.
Aux hérétiques, il faut sauver l’âme impure.
Les forcer par la torture à renier leurs erreurs.
Il faut aux peuples imposer la foi par la terreur. »
Les femmes disaient : « Où il y a aveu, il n’y a pas torture. »
Pour l’Inquisiteur, il faut abjurer avant de mourir ;
On ne put amener le Bonhomme à se dédire.
La torture n’étant point prescrite par la loi,
Hérétique ; à brûler jusqu’à la mort, on le condamna.
Claes cria : « Tu mourras de male mort, immonde scélérat
Qui pour un petit denier, un homme libre dénonça. »
Et le poissonnier, comme le roi,
D’une part des biens du martyr hérita.
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