jeudi 22 octobre 2015

Exil de Till


Exil de Till

Chanson française – Exil de Till – Marco Valdo M.I. – 2015
Ulenspiegel le Gueux – 6

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).

Pélerin pélerinant


Vois-tu, Lucien l'âne mon ami, il arrive un jour où l'oisillon quitte le nid. Mille circonstances y président. Parfois, l'oiseau reste à deux coups d'ailes du pays et sans presser y fait son nid. Parfois, il lui faut partir au loin sans que l'on sache trop bien quand il revient. Parfois, c'est de son plein gré, parfois il est exilé. C'est ce qui arrive à Till. Till doit partir en exil, Till doit s'humilier et devenir pèlerin. Les juges en ont décidé ainsi. Il est heureux pour Till qu'ils étaient du village…


Mais qu'avait donc fait ce brave garçon ?, demande Lucien l'âne un peu interloqué.


Oh, rien grand-chose ! Mais ce peu était encore de trop aux yeux des bigots. Till avait – au cours d'une petite beuverie dominicale entre amis – critiqué le parti, le parti des prêtres, le parti de la toute puissante Église Catholique. Il accusait l'Église de tirer profit de la Fête des Morts – ce qu'elle fait encore à présent. Bref, il la disait vénale et chère pour le peuple. C'était une manière de protestation. Et la protestation contre l'Église et ses exactions était vraiment mal vue en ce temps-là. S'en prendre à l'Église, c'était blasphémer et le blasphème était très sévèrement puni.


On en a brûlé pour moins que ça, dit Lucien l'âne. Je l'ai vu de mes propres yeux tout au travers de l'Espagne, la France, les Pays-Bas et même, l'Italie.


Je te disais le blasphème… C'est un truc pervers. J'y reviens pour une parenthèse à ce sujet, une parenthèse contemporaine… Till ne serait pas trop rassuré d'entendre nos bons religieux d'aujourd'hui s’efforcer remettre le délit (le « crime ») de blasphème au goût du jour – ici et maintenant, en Europe.


C'est à n'y pas croire, dit Lucien l'âne.


Et pourtant, si on laisse faire ces braves gens, on se retrouvera bientôt aux temps de Till et des bûchers. Il me paraît, Lucien l'âne mon ami, qu'il y a là matière à réflexion et à sonner l'alarme.


En effet, c'est là une nouvelle bien inquiétante. Le pire – et je l'ai vu faire souvent – c'est que ça commence toujours doucement, tout doucereusement. Puis, on serre, on serre jusqu'à l'étranglement des mécréants. Ces religieux ont de ces manières et toujours, ils tentent de faire croire que c'est pour notre plus grand bien. Mais dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, qu'arrive-t-il à Till ?


Écoute, Lucien l'âne mon ami. Écoute bien, car cela pourrait t'arriver. Tout est donc parti d'une petite fête entre amis… Pourtant, il ne serait rien advenu s'il n'y avait eu un traître dans la bande, qui s'empressa d'aller dénoncer Till.


C'est toujours comme ça dans les régimes policiers, dictatoriaux, totalitaires, inquisitoriaux ou théocratiques, qui ne sont finalement qu'une seule et même chose, dit Lucien l'âne qui était allé partout. Il y a toujours de bonnes âmes ou de bons citoyens pour aller dénoncer les récalcitrants.


Comme je te le disais, les juges avaient été assez cléments et sans doute, avaient-ils – comme souvent le font les juges face à des régimes autoritaires – usé de la loi en usage pour protéger Till... À ce stade, même si l'amende, le mois de cachot et l'exil sont de terribles sanctions, Till échappe à bien pire. Ensuite, la chanson narre le départ de Till et le désespoir de sa mère Soetkin, de son père Claes et de son amoureuse, Nelle. Il y a un fait sur lequel j'aime attirer l'attention : c'est cette étrange manie du pardon et de l'humiliation. Ce sont deux pratiques des plus perverses qui soit. Car leur véritable fonction, leur but réel, c'est de rabaisser l'homme libre, la femme libre, l'être libre au rang du disciple, au niveau d'un membre de la communauté. En somme, la brebis doit rentrer dans le troupeau. C'est d'ailleurs là le point central de l'affrontement entre Till le Gueux et le pouvoir, entre l'individu intelligent et la communauté. C'est de cela que veut parler Charles De Coster en écrivant cette épopée.

Eh bien, attendons la suite, même si elle doit être terrible et reprenons notre tâche qui consiste à tisser le linceul de ce vieux monde totalitaire, policier, délateur, dictatorial, religieux, communautaire et cacochyme.




Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Au milieu des fleurs d'avril
Till parlait et Nelle souriait 
Et le vent de la mer chantait.
J'ai froid, j'ai chaud, disait Till.

Le jour des Morts, Till fit la fête.
L'ami Lamme payait les bières.
Tous s'amusaient. Till faisait la bête.
Il dit : la messe des Morts nous coûte cher.

Avec l'Église, on ne badine pas.
Un bon fils collabore, se dit un Judas.
Aux bons pères, il se confessa.
Till a dit ceci, Till a dit cela.

Un mois en prison, un mois en cage.
Les juges tenaient compte de son jeune âge.
Tristesse, repentance, humiliation.
Till allait pieds nus dans la procession.

On bannit l'enfant du pays ; une vilaine punition.
À Rome, on l'envoya chercher sa rémission.
Claes paya l'amende de trois florins
Et munit Till de l’habit de pèlerin.

Tous accompagnèrent Till
Quand il dut partir en exil.
Claes et Soetkin pleuraient.
La belle Nelle se taisait.

Nelle se taisait, Till partait.
Les morts déçus pleuraient.
Tristesse, repentance, humiliation.
À Rome, elle coûte cher la rémission.

Tous les amis accompagnèrent Till
Sur les premiers pas de l'exil.
Sois prudent, dit Nelle, ou ils te feront brûler.
Till dit : Je suis d'amiante et je reviendrai.

Au bout du chemin où se perd la vue,
Till continua sans se retourner.
Claes et Soetkin ont pleuré.
Nelle encore plus belle s'est tue.



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