LE
DÉPART DU CROISÉ : LE PREUX ANSELME
Version
française – LE DÉPART DU CROISÉ : LE PREUX ANSELME – Marco
Valdo M.I. A – 2009
Chanson
italienne – La
partenza del Crociato (Il prode Anselmo) – Giovanni Visconti
Venosta – 1856
Le Sultan pour le briser
Fit tailler un pieu piquant
Mais Anselme prévoyant
Dans son froc avait mis l'acier.
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Grâce
à ma génitrice, qui au dernier salon du livre de Turin s'est
longuement entretenue avec la splendide Dame Viglongo, propriétaire
de la maison d'édition homonyme de Turin depuis 1945, je suis entré
en possession de la réédition du « Le Preux Anselme – Le départ
du croisé pour la Palestine ». L'édition originale remonte à 1944
sur les presses des Éditions Daniel de Rome, depuis absorbées par
la Viglongo et on y trouve des illustrations de Livio Apolloni
(1904-1976), célèbre illustrateur et auteur de BD romain actif dans
les années 20 et après la seconde guerre et auteur, entre autres,
d'une BD de « La Ferme des Animaux » de George Orwell.
Ce
petit volume se conclut avec une étude notable de Walter Fochesato,
spécialiste de la littérature pour enfants et de l'histoire de
l'illustration et coordinateur rédactionnel du mensuel « Andersen.
Le monde de l'enfance »; postface dont je tire la plus grande partie
de cette introduction.
Alessandro
Giovanni
Visconti Venosta (Milano 1831-1906) écrit dans ses « Souvenirs de
jeunesse » : … « Sur la fin de cet automne [1856], j'écrivis
une farce poétique, à laquelle ne manque pas une certaine
notoriété. […] Nous étions près de la rentrée scolaire, et un
jour, une bonne dame, qui habitait près de notre maison de Tirano
(Valtellina), vint chez moi avec son fils qui était élève au
gymnase de Côme , je crois. La mère me dit que son fils était tout
mortifié, car il n'avait pas réussi à faire son devoir d'automne,
donnés par son professeur. En fait, il l'avait commencé, mais il ne
pouvait le terminer. L'enfant pleurait presque, et moi, me laissant
attendrir, je m'offris à finir ce foutu devoir. Il s'agissait d'un
poème, dont le sujet, choisi parmi ceux en vogue dans les écoles en
ces temps-là, était : « Le départ du croisé pour la Palestine ».
L'élève avait commencé son poème ainsi :
«
Passe un jour, passe un autre
Jamais
ne revient notre Anselme
Car
il était fort dégourdi
Il
alla à la guerre et mit son casque... »
Il
s'était arrêté là. En lisant ces vers me passa par al tête une
tentation mauvaise, mais irrésistible; je ds à la mère et au fils
qu'ils reviennent le jour suivant et que je l'aurais fini ce poème.
Je courus à mon bureau, je répétai ces vers en les déclamant et
le reste vint de lui-même.
Le
jour suivant quand la mère et le fils revinrent, le crime était
consommé. J'écoutai sans remords leurs mots de remerciement et je
remis la feuille.
Il
se passa quelques mois. Tandis que je passai un examen à
l'Université de Pavie, je remarquai que les professeurs me
regardaient avec une certaine curiosité, parlant à mi-voix entre
eux et riant. L'examen fini, l'un d'eux me raccompagna et me dit : «
Donc... « Passe un jour, passe l'autre... »... C'est vous l'auteur
de la Ballata ? Alors, en retour, je l'interrogeai de mon côté, et
je sus qu'il avait eu mon « Croisé » par un de ses amis,
professeur à Côme. Peut-être le professeur de ce fameux élève. À
partir de ce jour, mon Croisé chemina longuement à mon insu, et je
le rencontrai à tout moment, parfois réduit, parfois augmenté, et
souvent malmené. »
….
Marco
Valdo M.I., qui écrivit plus récemment « La Croisade de Pierre »,
se réjouit hautement de ce poème aux saveurs moyenâgeuses et
racontant – bien avant lui – l'aventure du croisé. Il n'a pas pu
s'empêcher, pris d'une « intention mauvaise », de le traduire
illico, c'est-à-dire dès après en avoir eu connaissance. Il en
abandonna même la lecture d'un roman de Saramago, que par ailleurs,
il recommande tout autant à ceux qu'un soir d'été de lecture et la
proximité de la mort n'effrayent pas trop. Au fait, le titre de ce
roman est en français : « Les intermittences de la mort » et en
portugais, langue dans laquelle il fut écrit : « As Intermitências
da Morte » et en italien, la chose va de soi, « Le Intermittenze
della Morte ».
Qu'on
ne s'attende pas au sublime récit, façon Chanson de Roland, ni à
certain lyrisme épique... Quoique... Ce lyrisme-là est bien
présent, mais il sombre dans le pataquès et joyeusement. Les vers
sont chaotiques et boitillants... Par parenthèse, on comprendra que
l'helme (helmet, elmo...) n'est autre chose que le heaume ou le
casque et ça vous a un de ces airs de chevalerie... ou de feux de
Saint Elme, rien de plus fulgurant. On l'aura compris, si le Preux
Anselme est ridicule, c'est bien ainsi qu'il convient qu'il soit.
L'ironie et la dérision ont tissé leur toile tout au long de cette
catastrophique histoire. C'est ce qui d'ailleurs fait son charme, sa
réputation et l'a propulsée cent cinquante ans plus tard, ici même.
«
Le Preux Anselme » a connu diverses heures de gloire et notamment,
durant le ventennio (période où fleurit le goût de la croisade
fasciste...) où l'idée de partir combattre au loin titillait
certain Rodomont au menton carré et au crâne dégarni. Mais là
aussi, malgré toutes les précautions, malgré de sensibles
modifications imposées d'en haut , lesquelles modifications et
versions sont reprises ici entre [...], le Preux Anselme poursuivit
son œuvre de destruction de la forfanterie et de l'appétit de
gloriole.
Les
successeurs du Rodomont au menton dressé feraient bien de méditer
la leçon et éviter toute forme de croisade ou même, de lutte
contre l'Infidèle, contre l'étranger, contre ceux venus d'ailleurs.
Gloire
donc au Preux Anselme, à ses pompes et à ses œuvres !
Cela
dit, suivons les aventures de cet inestimable croisé.
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I.
Passe
un jour, passe l'autre
Jamais
ne revient le Preux Anselme
Car
c'était un grand apôtre
Il
alla à la guerre et mit son casque...
Il
mit son casque sur la tête
Pour
ne pas se faire trop mal
Et
partit la lance en tête
Á
cheval sur un cheval.
Sa
belle l'embrassa
Lui
donna un baiser et dit : « Va ! »
Autour
du cou, elle lui plaça
Un
flacon de pastis plat.
[Et
sa mère qui l'embrassa
Lui
donna un baiser et dit : « Va ! »
Mais
ne fais pas le malin
Avec
les sous de papa !]
Puis,
elle lui donna un anneau doré
Gage
sacré de sa foi.
Elle
lui mit dans son barda
Jusqu'aux
chaussettes pour ses pieds.
Ce
fut dès mâtines
Qu'Anselme
sortit fier et beau
Pour
aller en Palestine
Conquérir
le Tombeau.
Il
n'alla pas par la voie ferrée
Comme
aujourd'hui la machine à vapeur.
En
ces temps-là, on ne ferrait
Pas
la voie, mais le voyageur.
Sa
cravate de fer forgé,
Et
son gilet de cuivre doré
Il
voyageait, c'est vrai, porté
Mais
le cheval allait à pieds.
De
ce jour, il ne fit qu'aller
Aller
toujours, aller, aller...
Quand
au pied d'une chaumière,
Il
vit un lac et c'était la mer.
Méfiant...
et pensif, il s'arrêta
Sagement
il médita
Puis
se penchant, et d'un doigt
À
bon compte, il l'essaya.
Lorsqu'il
fut sur le bâtiment,
Il
lui vint le mal de mer
Mais
Anselme en un moment
Remit
son déjeuner à l'air.
[La
Cité de Constantin
En
le découvrant trembla.
Elle
voulut trinquer au vin
Mais
le Coran l'en empêcha]
Le
Sultan pour le briser
Fit
tailler un pieu piquant
Mais
Anselme prévoyant
Dans
son froc avait mis l'acier.
Pipes,
tapis, croissants
Sabres,
yatagans
Odalisques,
minarets,
Le
Sultan déjà tout emballait.
Quand
près de Salamine
Une
vilaine soif le tourmenta
Anselme
délaissant la marine
Pris
son casque et boire s'en alla
Mais
le casque le croirez-vous
Tout
au fond, avait un trou
Et
il mourut de soif en trois jours,
Sans
s'en apercevoir, ce balourd.
[N'avait-il
pas lu , pauvre cœur,
Le
bon docteur Amal ?
Ne
savait-il pas que pour l'homme en sueur
L'eau
glacée est fatale.]
[Sur
la fiasque d'essence
Il
mit sa lèvre et fit « glou, glou... »
Sur
le champ, il tomba éteint.
Et
le Preux Anselme fut !]
Passe
un jour, passe l'autre,
Jamais
ne revient le guerrier
Car
c'était un grand apôtre
Il
alla en guerre avec son cimier.
Il
mit son cimier sur la tête
Mais
le fond, il ne regarda pas
Et
ainsi advînt cela
Que
jamais il ne revînt de la conquête!
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