lundi 19 octobre 2015

LE DÉPART DU CROISÉ : LE PREUX ANSELME

LE DÉPART DU CROISÉ : LE PREUX ANSELME

Version française – LE DÉPART DU CROISÉ : LE PREUX ANSELME – Marco Valdo M.I. A – 2009
Chanson italienne – La partenza del Crociato (Il prode Anselmo) – Giovanni Visconti Venosta – 1856



Le Sultan pour le briser
Fit tailler un pieu piquant
Mais Anselme prévoyant
Dans son froc avait mis l'acier.



Grâce à ma génitrice, qui au dernier salon du livre de Turin s'est longuement entretenue avec la splendide Dame Viglongo, propriétaire de la maison d'édition homonyme de Turin depuis 1945, je suis entré en possession de la réédition du « Le Preux Anselme – Le départ du croisé pour la Palestine ». L'édition originale remonte à 1944 sur les presses des Éditions Daniel de Rome, depuis absorbées par la Viglongo et on y trouve des illustrations de Livio Apolloni (1904-1976), célèbre illustrateur et auteur de BD romain actif dans les années 20 et après la seconde guerre et auteur, entre autres, d'une BD de « La Ferme des Animaux » de George Orwell.
Ce petit volume se conclut avec une étude notable de Walter Fochesato, spécialiste de la littérature pour enfants et de l'histoire de l'illustration et coordinateur rédactionnel du mensuel « Andersen. Le monde de l'enfance »; postface dont je tire la plus grande partie de cette introduction.
Alessandro

Giovanni Visconti Venosta (Milano 1831-1906) écrit dans ses « Souvenirs de jeunesse » : … « Sur la fin de cet automne [1856], j'écrivis une farce poétique, à laquelle ne manque pas une certaine notoriété. […] Nous étions près de la rentrée scolaire, et un jour, une bonne dame, qui habitait près de notre maison de Tirano (Valtellina), vint chez moi avec son fils qui était élève au gymnase de Côme , je crois. La mère me dit que son fils était tout mortifié, car il n'avait pas réussi à faire son devoir d'automne, donnés par son professeur. En fait, il l'avait commencé, mais il ne pouvait le terminer. L'enfant pleurait presque, et moi, me laissant attendrir, je m'offris à finir ce foutu devoir. Il s'agissait d'un poème, dont le sujet, choisi parmi ceux en vogue dans les écoles en ces temps-là, était : « Le départ du croisé pour la Palestine ». L'élève avait commencé son poème ainsi :
« Passe un jour, passe un autre
Jamais ne revient notre Anselme
Car il était fort dégourdi
Il alla à la guerre et mit son casque... »
Il s'était arrêté là. En lisant ces vers me passa par al tête une tentation mauvaise, mais irrésistible; je ds à la mère et au fils qu'ils reviennent le jour suivant et que je l'aurais fini ce poème. Je courus à mon bureau, je répétai ces vers en les déclamant et le reste vint de lui-même.
Le jour suivant quand la mère et le fils revinrent, le crime était consommé. J'écoutai sans remords leurs mots de remerciement et je remis la feuille.
Il se passa quelques mois. Tandis que je passai un examen à l'Université de Pavie, je remarquai que les professeurs me regardaient avec une certaine curiosité, parlant à mi-voix entre eux et riant. L'examen fini, l'un d'eux me raccompagna et me dit : « Donc... « Passe un jour, passe l'autre... »... C'est vous l'auteur de la Ballata ? Alors, en retour, je l'interrogeai de mon côté, et je sus qu'il avait eu mon « Croisé » par un de ses amis, professeur à Côme. Peut-être le professeur de ce fameux élève. À partir de ce jour, mon Croisé chemina longuement à mon insu, et je le rencontrai à tout moment, parfois réduit, parfois augmenté, et souvent malmené. »
.



Marco Valdo M.I., qui écrivit plus récemment « La Croisade de Pierre », se réjouit hautement de ce poème aux saveurs moyenâgeuses et racontant – bien avant lui – l'aventure du croisé. Il n'a pas pu s'empêcher, pris d'une « intention mauvaise », de le traduire illico, c'est-à-dire dès après en avoir eu connaissance. Il en abandonna même la lecture d'un roman de Saramago, que par ailleurs, il recommande tout autant à ceux qu'un soir d'été de lecture et la proximité de la mort n'effrayent pas trop. Au fait, le titre de ce roman est en français : « Les intermittences de la mort » et en portugais, langue dans laquelle il fut écrit : « As Intermitências da Morte » et en italien, la chose va de soi, « Le Intermittenze della Morte ».

Qu'on ne s'attende pas au sublime récit, façon Chanson de Roland, ni à certain lyrisme épique... Quoique... Ce lyrisme-là est bien présent, mais il sombre dans le pataquès et joyeusement. Les vers sont chaotiques et boitillants... Par parenthèse, on comprendra que l'helme (helmet, elmo...) n'est autre chose que le heaume ou le casque et ça vous a un de ces airs de chevalerie... ou de feux de Saint Elme, rien de plus fulgurant. On l'aura compris, si le Preux Anselme est ridicule, c'est bien ainsi qu'il convient qu'il soit. L'ironie et la dérision ont tissé leur toile tout au long de cette catastrophique histoire. C'est ce qui d'ailleurs fait son charme, sa réputation et l'a propulsée cent cinquante ans plus tard, ici même.

« Le Preux Anselme » a connu diverses heures de gloire et notamment, durant le ventennio (période où fleurit le goût de la croisade fasciste...) où l'idée de partir combattre au loin titillait certain Rodomont au menton carré et au crâne dégarni. Mais là aussi, malgré toutes les précautions, malgré de sensibles modifications imposées d'en haut , lesquelles modifications et versions sont reprises ici entre [...], le Preux Anselme poursuivit son œuvre de destruction de la forfanterie et de l'appétit de gloriole.

Les successeurs du Rodomont au menton dressé feraient bien de méditer la leçon et éviter toute forme de croisade ou même, de lutte contre l'Infidèle, contre l'étranger, contre ceux venus d'ailleurs.

Gloire donc au Preux Anselme, à ses pompes et à ses œuvres !

Cela dit, suivons les aventures de cet inestimable croisé.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.


Passe un jour, passe l'autre
Jamais ne revient le Preux Anselme
Car c'était un grand apôtre
Il alla à la guerre et mit son casque...

Il mit son casque sur la tête
Pour ne pas se faire trop mal
Et partit la lance en tête
Á cheval sur un cheval.

Sa belle l'embrassa
Lui donna un baiser et dit : « Va ! »
Autour du cou, elle lui plaça
Un flacon de pastis plat.

[Et sa mère qui l'embrassa
Lui donna un baiser et dit : « Va ! »
Mais ne fais pas le malin
Avec les sous de papa !]

Puis, elle lui donna un anneau doré
Gage sacré de sa foi.
Elle lui mit dans son barda
Jusqu'aux chaussettes pour ses pieds.

Ce fut dès mâtines
Qu'Anselme sortit fier et beau
Pour aller en Palestine
Conquérir le Tombeau.

Il n'alla pas par la voie ferrée
Comme aujourd'hui la machine à vapeur.
En ces temps-là, on ne ferrait
Pas la voie, mais le voyageur.

Sa cravate de fer forgé,
Et son gilet de cuivre doré
Il voyageait, c'est vrai, porté
Mais le cheval allait à pieds.

De ce jour, il ne fit qu'aller
Aller toujours, aller, aller...
Quand au pied d'une chaumière,
Il vit un lac et c'était la mer.

Méfiant... et pensif, il s'arrêta
Sagement il médita
Puis se penchant, et d'un doigt
À bon compte, il l'essaya.

Lorsqu'il fut sur le bâtiment,
Il lui vint le mal de mer
Mais Anselme en un moment
Remit son déjeuner à l'air.

[La Cité de Constantin
En le découvrant trembla.
Elle voulut trinquer au vin
Mais le Coran l'en empêcha]

Le Sultan pour le briser
Fit tailler un pieu piquant
Mais Anselme prévoyant
Dans son froc avait mis l'acier.

Pipes, tapis, croissants
Sabres, yatagans
Odalisques, minarets,
Le Sultan déjà tout emballait.

Quand près de Salamine
Une vilaine soif le tourmenta
Anselme délaissant la marine
Pris son casque et boire s'en alla

Mais le casque le croirez-vous
Tout au fond, avait un trou
Et il mourut de soif en trois jours,
Sans s'en apercevoir, ce balourd.

[N'avait-il pas lu , pauvre cœur,
Le bon docteur Amal ?
Ne savait-il pas que pour l'homme en sueur
L'eau glacée est fatale.]

[Sur la fiasque d'essence
Il mit sa lèvre et fit « glou, glou... »
Sur le champ, il tomba éteint.
Et le Preux Anselme fut !]

Passe un jour, passe l'autre,
Jamais ne revient le guerrier
Car c'était un grand apôtre
Il alla en guerre avec son cimier.

Il mit son cimier sur la tête
Mais le fond, il ne regarda pas
Et ainsi advînt cela

Que jamais il ne revînt de la conquête!

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