samedi 26 juillet 2014

ENC...HRISTIANISER CAMUS ?






ENC...HRISTIANISER CAMUS ?


En connaissance de cause
Le Monde vu par l' UAAR


Howard Mumma et la tentative maladroite de "christianiser" Albert Camus




 http://www.uaar.it/news/2014/07/20/howard-mumma-maldestro-tentativo-cristianizzare-albert-camus/

http://asinonuovo.blogspot.com/2014/07/enchristianiser-camus.html



Un des amis d'Albi (Action laïque Belgo-italienne) a eu la bonne idée de traduire le blog-édito de l' UAAR - Union des Athées et des Agnostiques Rationalistes, publié dans la revue Micro-Mega.
L'Asino nuovo relaie ces éditos laïques en provenance d'Italie, traduits par Pierre Steenhout.
Tel est le petit avant-propos qui annonce les éditos de l'Uaar. Mais l'Uaar publie bien d'autres articles et récemment, elle a fait paraître un article que l'Asino aurait aimé publier en français. Il écrivit donc à Pierre Steenhout pour faire appel à son aimable collaboration. Voici ce que l'Asino lui écrivait :
«  En fait, je voulais te faire la suggestion de traduire le dernier courrier de l'Uaar qui tord le cou à je ne sais quel anglophone qui a eu l'idée saugrenue de vouloir "christianiser" Camus. On ne peut pas laisser Albert Camus se faire enc...hristianiser ainsi. C'est un devoir d'hygiène publique que dénoncer pareille et sournoise manœuvre digne de Francesco, le pape blanc dehors et noir dedans. »
Le titre intégral de l'article de l'Uaar est « Howard Mumma et la tentative maladroite de "christianiser" Albert Camus ».





Enc...hristianiser Albert Camus, un tel anarchiste, quelle idée saugrenue et pour quoi faire ? Eh bien, précisément... Si on les laissait faire, ces corbeaux iraient jusqu'à revendiquer tous les cadavres, partant du principe que tout fait farine à leur moulin.
Cependant, en soi, la chose n'a évidemment aucune importance, vue par le cadavre – lequel, comme le chameau, s'en fout. Mais pour eux, pour les « noirs corbeaux », l'affaire a de l'importance. L'objectif de ces « christianisations pré-posthumes (le mot est de Musil, mais est très approprié à ce genre de manœuvres sournoises autant que douteuses et malhonnêtes) » est tout simplement de tirer à eux le linceul ou de s'emparer des restes. Il convient évidemment de défendre Camus de ce rapt posthume, de cet enlèvement nécrophage. Mais aussi, et l'Uaar va dans le même sens, il s'agit de mettre à jour – de façon plus générale – certaine pratique chrétienne visant à ramener dans les bras du Christ, ceux de la Vierge, d'un saint ou d'une sainte quelconque ou sous la houlette de Dieu, les mécréants – si possible, célèbres et de le faire savoir (pour les anonymes, c'est moins intéressant). À la rigueur, on se contentera d'une vague allusion à un improbable sentiment d'un dessein caché de l'univers. N'importe quoi, sauf la mécréance pure et simple. Il y a là une stratégie ancienne. Elle opère à plusieurs niveaux : il s'agit soit sur un plan intellectuel ou culturel de s'approprier une « réputation », de faire paraître qu'à la fin – quand même – même les plus endurcis des mécréants finissent par rallier le clan divin ; soit il s'agit toujours de circonvenir mais avec des vues autrement plus matérielles – par exemple, de riches vieillards ou des veuves éplorées. L'objectif est tout clair : s'emparer d'une part ou si possible de tout l'héritage – en écartant par toutes voies les « héritiers ». Là, tout n'est que d'anticiper et de forcer le destin. Jiri Sotola ne raconte rien d'autre qu'une telle manœuvre dans « La Nuit baroque » ; on a vu l'aboutissement d'une de ces pêches miraculeuses l'autre jour dans les Catholicades, où la Curie de Bologne vient de s'emparer d'une multinationale... Mais tout petit profit fera l'affaire... Surveillez vos aïeuls tant qu'il est encore temps !

L'Asino risuscitatoNoi, non siamo cristiani, siamo somari.









Ce n'est pas la première fois que cela arrive  - et ce ne sera certes pas la dernière. Comme ce fut le cas, par exemple, pour Leopardi, Gramsci, Carducci et Voltaire, la mémoire d'Albert Camus a été, en effet, elle aussi, déformée par l' habituelle "conversion posthume", réfléchie, systématique. Le mécanisme mis en action est simple et infaillible : une fois repéré un auteur ouvertement non-croyant, on attend sa mort avec patience, et, avec une régularité suisse, voici qu'on découvre un témoignage oral d'un parfait inconnu, lequel soutient, avec désinvolture et une candeur sincère, que ce même écrivain lui aurait avoué (et seulement à lui) sa volonté de se convertir avant de mourir.

L'objectif non avoué des partisans de ces "stratagèmes apologétiques" est triple :

1)   vendre beaucoup d'exemplaires de son livre, aussi bien parmi ses détracteurs que
      parmi les défenseurs de la thèse de la conversion;

2)   se faire un nom et obtenir une popularité, inaccessible autrement;

3)   miner, une fois et pour toujours, la crédibilité de l'auteur en question. Entendons-nous:
      les lecteurs les plus fidèles et les plus attentifs sauront reconnaître avec facilité le
      manque de fondement et la mauvaise foi de semblables témoignages, mais leurs
      protestations ne serviront à rien, parce que, désormais, la nouvelle se sera
      propagée partout sur la toile; en moins de temps qu'il n' en faut pour le dire, le faux
      historique, créé "ad hoc", sera déjà colporté comme source digne de foi.



Le livre de Howard Mumma, "Albert Camus and the Minister", a été publié, en anglais, en 2000, par une maison d' édition catholique américaine connue, "Paracelse Press", laquelle se donne, explicitement, comme mission "de publier des livres, de la musique et des videos qui nous rappellent de ne jamais perdre l'espérance dans la miséricorde de Dieu". L'auteur, pasteur protestant américain, prétend avoir rencontré Camus plusieurs fois durant son séjour auprès de l'Eglise américaine de Paris, au point de devenir son ami intime et son conseiller spirituel, jusqu'à ce jour, non précisé, où Camus aurait exprimé la volonté de se faire baptiser à nouveau, rencontrant le refus du même Mumma, lequel s'y serait opposé, soutenant  que :

a)   on ne peut baptiser deux fois, alors que le premier baptême est certain; et que

b)   Camus n'était pas prêt à s'engager publiquement dans l'Église du Christ (pp.90-93)


Le compte rendu de Mumma est aussi surréel qu'il est mal ficelé: non seulement pour toutes les erreurs chronologiques manifestes et les incohérences biographiques (voir la liste ci-dessous), mais aussi et surtout pour la naïveté et l'infantilisme avec lesquels Camus se serait exprimé, à la manière d'un enfant de six ans qui entend prononcer, pour la première fois, le mot  "Dieu", et qui voudrait comprendre de quoi il s'agit. En effet, il serait presque inutile d'entrer dans les détails, le livre de Mumma étant une énorme et criante imposture. Cependant, beaucoup ont cru à l'honnêteté de l'auteur, considérant comme établi que son compte-rendu était véridique et non inventé. Par prudence et par correction, donc, j'ai dressé une liste des erreurs les plus importantes :

1.   Camus n'a  JAMAIS rencontré Simone Weil et il a exprimé plusieurs fois ses regrets
       pour la mort prématurée de l'auteure (1943); selon Mumma, au contraire, Camus
       aurait rencontré Simone Weil régulièrement pendant des années, à des intervalles de
       quelques semaines ("every few weeks", "over a period of several years", pp.41-47) ;

2.    Camus s'inscrivit au Parti Communiste Algérien en 1935, et il en sortit, très
       rapidement, en 1937,  AVANT  la 2ième guerre mondiale et la découverte des camps de
       concentration nazis ; selon Mumma, au contraire, Camus "joined the Communist
       Party" après la seconde guerre mondiale, et, justement, en réponse "aux atrocités d'Hitler" (pp.11-12) ;

3)    Camus ne s' est pas du tout suicidé, comme le soutient l'auteur (p.98), mais, en fait,
        il est mort dans un accident de la route, en simple passager - le conducteur était, en
        en effet, Michel Gallimard ;

4)    Camus a publié "L'Étranger"  AVANT  "Le Mythe de Sisyphe", et non l' inverse,
        comme le prétend Mumma (pp.12-13) ;

5)     La thèse de doctorat de Camus portait sur "La Métaphysique chrétienne et le
        Néoplatonisme", non sur "Le Néoplatonisme, avec une attention particulière
        donnée à Plotin" (p.11) ;

6)     Mumma admet à plusieurs reprises dans le livre (p.8 et ailleurs), ne savoir ni
        parler ni comprendre le français ; en même temps, l'anglais de Camus et de
        Sartre était fort pauvre, sinon nul ; le doute surgit, donc : comment pouvait-il
        communiquer avec ses interlocuteurs français, avec une telle facilité ? ;

7)     Le nom de Mumma n'apparaît dans aucune des deux monumentales et
        minutieuses biographies officielles de Camus (Todd et Lottman), ni dans ses
        "Carnets" (Taccuini), ni dans tout autre document officiel concernant Camus.


Le livre de Mumma n'a été traduit, pour le moment, qu'en espagnol - heureusement !
Dans les pays anglophones, l'accueil du livre a été incroyablement calme et partisan,
vu que la plus grande partie des critiques ont été élaborées, ou bien par des auteurs catholiques fondamentalistes (en premier lieu, Greg Clarke, lequel, outre le fait de rendre compte de livres sur "l'angélologie" et sur la résurrection, a "posté" un message fantaisiste sur la conversion de Richard Dawkins au christianisme), ou par des "blogueurs" désorientés, qui, incapables de démentir Mumma sur le fait même, ont cherché à interpréter, à leur façon, la "conversion" de Camus.

Notre espoir est que ces quelques lignes servent à dissuader les éditeurs italiens d'entreprendre une traduction italienne du texte, non par une absurde censure préventive, mais plutôt en exigeant des principes élémentaires d'objectivité  et d'honnêteté intellectuelle, principes qui, aujourd'hui - en ces temps d'Internet, où chacun a le droit de prétendre ce qu'il veut et comme il le veut - semblent être devenus des « accessoires à option », dans n'importe quel débat philosophico-politico-religieux.


Giovanni Gaetani
(lauréat 2013 du prix de fin d'études attribué par l' UAAR)

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