QUE
NE CROIENT PAS... CEUX QUI CROIENT ?
Version
française des Dernières Nouvelles de l'UAAR – Union des Athées,
Agnostiques et Rationalistes. (5 février 2014) :
Texte
italien :
http://www.uaar.it/news/2014/02/05/cosa-non-crede-chi-crede/
Précepte
laïque
Italiens,
encore un effort pour devenir laïques !
Qui
croit ? Qui croit quoi ? Qui croit qui ? Qui croit en
qui ? Qui croit en quoi ? Qui croit en croix ? On n'en
finirait pas avec ces croyances, tant il y en a – depuis les
sectateurs de l'oignon jusqu'aux sectateurs de la croix et du
croissant. On croit en tout, on croit en rien, tout porte à croire,
chacun porte sa croix... Tel est, en gros, le thème de l'article de
nos amis de l'UAAR. Mais l'affaire avait déjà été réglée par
Aristote, Euclide et leurs incursions dans le domaine de la logique.
Rappelons les éléments essentiels à notre propos : d'une
proposition positive, on peut tirer une conclusion certaine, qui par
ailleurs, peut être multiple ; d'une proposition négative, on
ne peut tirer aucune conclusion certaine. Revenons à notre oignon :
proposition positive : croire, croyant... proposition négative :
non-croyant, non-croyance... Le croyant croit et on peut, il peut
indiquer en quoi il croit ; le non-croyant ne croit pas et pour
indiquer en quoi un non-croyant (sceptique, mécréant...) ne croit
pas, on ne peut avancer comme hypothèse que le fait qu'il ne croit
pas en ce qu'il est de coutume de croire, en ce qu'il faut croire...
Le non-croyant n'existe comme tel que pour le croyant ; pour le
non -croyant lui-même, la croyance, c'est un néant, un vide, un
rien, un objet insignifiant. Elle est rigoureusement hors de propos,
absurde. En fait, ceci revient à dire que la croyance existe pour le
croyant et seulement, pour le croyant. Contrairement à l'eau, ou à
la terre ou même, au temps qui existent ou qui sont, c'est du pareil
au même, pour tous les humains. Ainsi, on pourrait imaginer une
conversation entre quelqu'un qui verrait des éléphants roses voler
dans le ciel, suite sans doute à des libations et un personnage plus
sobre auquel l'éméché entendrait imposer ses éléphants et à
partir d'eux, toute une série de règles de vie... Il se peut aussi
qu'on attribue aux éléphants roses toutes sortes de qualités et
une capacité plus ou moins infinie d'intervention dans la réalité
quotidienne. On conviendra aisément que le fait de croire aux
éléphants roses et à leurs étranges capacités ne pose en soi
aucun problème tant que l'on garde ces gentils proboscides dans la
sphère privée... On peut même chanter « J'aime bien les
éléphants, fan, fan, les éléphants... », mais la
plaisanterie doit s'arrêter là, à la frontière du délire.
L'UAAR
aborde la chose différemment, mais dans le fond, c'est la même
exigence logique. Tout comme la croyance circonscrit d'elle-même son
domaine et celui où peut valablement opérer le croyant ;
l'existence elle circonscrit son domaine elle-aussi, à ce qui
existe ; en somme, à ce qu'on a coutume d'appeler le réel, qui
est le domaine commun .
Un
dernier mot sur l’ambiguïté du mot croire... Nos amis de l'UAAR
évoquent l'idée que le non-croyant – finalement – croit en des
principes, des valeurs, etc... Je pense que si cela est le cas de
certains non-croyants, il en est d'autres – dont le soussigné, qui
se définit comme mécréant – qui ne « croient »
rigoureusement pas (ni à un dogme, ni à un parti, ni à un Dieu, un
principe, ni...), ils « pensent » que telle ou telle
valeur, tel ou tel principe... sont ou non acceptables, justes ou au
contraire, injustes, inacceptables... dans le monde du mécréant, on
est donc là dans un autre univers, dans un monde hors de toute
superstition... On ne saurait croire, ma bonne dame, comme cela
change les choses...
Il
n'aura échappé à personne que le titre de cet article n'est rien
d'autre que la paraphrase du titre d'un livre écrit à quatre mains
par Umberto Eco et Carlo Maria Martini : « À quoi croit qui ne
croit pas ». La classique phrase à effet qui analysée du
point de vue strictement logique n'aurait qu'une seule réponse
possible : c'est-à-dire « rien », comme eut à
commenter Piergiorgio Odifreddi (qui se demanda « que mange qui
ne mange pas ?»), mais qui en réalité, sous-entend deux
acceptions du concept de croire. Dans la phrase « en quoi croit
qui ne croit pas », on distingue en effet un sujet, celui qui
ne croit pas à l'existence de Dieu, et un verbe impliquant que les
incroyants croient de toute façon à quelque chose. Évidemment que
c'est ainsi, « ils croient » en effet en des valeurs et
des principes qui sont généralement communs à la plupart des gens,
croyants compris, comme la liberté, la démocratie, les droits
humains. Et ainsi de suite.
Si
cependant on tente de retourner la phrase, le résultat fonctionne
seulement partiellement. L'univers des croyants est extrêmement
bariolé, il y a tant de croyances qui interprètent le monde de
façons divergentes et même à l'intérieur d'une même foi, les
fidèles ont une sensibilité et des modalités d'approche de leur
foi très différentes. Quelqu'un objectera que le même discours
vaut pour les incroyants, et il aurait certainement raison car il
n'existe pas d'incroyant standard. Mais si on se limite à analyser
en quoi croit qui ne croit pas, le résultat est presque
universellement valable, car justement il s'agit de principes. Le
résultat de l'hypothèse opposée peut être aussi valable ?
Peut-être non, il n'y a pas beaucoup de choses que les croyants,
tous les croyants, ne croient pas.
Peut-être
seulement une : ils ne croient sûrement pas que les incroyants aient
raison de refuser l'existence de Dieu, et spécialement celui
d'Abraham. Du reste, s'il n'en était pas ainsi, ils seraient des
incroyants, eux-mêmes. Au-delà, il y a beaucoup de choses qui ne
sont pas crues par une partie des croyants, une partie plus ou moins
vaste selon l'objet. Par exemple, beaucoup ne croient pas qu'accorder
des privilèges à la foi majoritaire constitue un vulnus (une
atteinte) à la laïcité de l'État, et dans ce cas, ce seront
presque toujours fidèles de cette même foi. Tout comme ils ne
croient pas que soit un problème l'exposition de leur symbole, en
acceptant même de le ramener à un pur gadget afin de le voir trôner
dans les lieux publics.
Ils
ne croient pas que la présence de chapelains et d'assistants
spirituels dans les institutions publiques, des hôpitaux aux
prisons, en passant par les casernes et même par le parlement,
puisse être considérée comme envahissante ; au maximum, les
plus avisés admettront que le problème se pose dans l'instant où
les dépenses y relatives grèvent les poches de tous. Et peut-être
après, il y aura des dissonances sur que considérer effectivement
comme charge.
Beaucoup
ne croient pas qu'à l'heure de religion à l'école, on fait du
catéchisme, car peut-être lorsqu'ils allaient à l'école, le prof
de religion interprétait le sujet en désaccord avec le prescrit de
l'Église et du Concordat, ou bien, l'heure de religion ne la
faisaient pas du tout car leur professeur unique en primaire (avant
la révision concordataire) n'estimait pas nécessaire de la faire.
En avançant vers des interprétations moins tolérantes, trop de
croyants ne croient pas qu'il soit licite de soutenir publiquement
l'inexistence de Dieu, pour aucun motif, car cela leur paraît
offensant envers qui croit et préjudiciable
pour n'importe quelle religion. C'est pire encore si au lieu de Dieu,
il y a Mahomet. En même temps, ils ne croient pas qu'il soit
offensant de présenter les incroyants comme des gens dépourvus
d'éthique, et souvent ils considèrent même que ce sont des
personnes intrinsèquement mauvaises.
La
religion au sens large et la religion dominante en particulier sont
naturellement intrinsèquement bonnes (aux yeux des croyants...) .
Pour eux, il va de soi qu'en Italie, c'est l'Église catholique (ÉCAR
Église Catholique Apostolique et Romaine) qui est intrinsèquement
bonne et ils refusent de croire qu'elle puisse être guidée par un
esprit de suprématie et non humanitaire. Pour eux, les considérables
financements publics sont bienvenus qui seront certainement employés
en soutien des nécessiteux, comme le montrent les spots télévisés
sur le « huit pour mille ». Par chance, il y a aussi
beaucoup de croyants, en grande partie appartenant à des confessions
minoritaires, bien conscients de la frontière entre cléricalisme et
foi, conscients du fait que souvent celui qui refuse de voir ce qui
est (selon la religion), ou devrait être selon la religion...,
évident pour tous n'est pas du tout de « mauvaise foi ».
Et finalement, si la foi religieuse est amour, même les religieux
n'arrêtent pas de le dire, et s'il est vrai que l'amour est aveugle,
il doit aussi être vrai que la foi n'a pas toutes ses dioptries.
Sans offenser personne.
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